L’Arpeggiata de Christina Pluhar offre un ensemble de compositions dont votre lièvre précieux s’est aussitôt rendu captif, ensemble adapté de musiques et chants traditionnels d’Italie du sud, liés à la magie, au mythe, à la guérison de la morsure (supposée) de la tarentule. Ces musiques, qui sont à l’origine des musiques fonctionnelles, rudes, hypnotiques, oppressives, servant de medium à la délivrance, adoptent ici un ton forcément différent. Toutefois, s’il a fallu tempérer ce type de compositions pour la cause musicale et non médicale, L’Arpeggiata a su trouver une voie sensible et intelligente, mettre en valeur la force émotionnelle et la beauté formelle de ces musiques rituelles d’autrefois. La tarentelle, tantôt lamento funèbre tantôt pizzica frénétique, est considérée comme l’une des premières formes de musicothérapie, mais se pratiquait sous d’autres noms et d’autres cieux : malgré les plus récents appels à saint Paul, protecteur des tarentulés, il est évident que cette cérémonie est très ancienne, pré-christianique et de nature chamanique :
Extrait du livret :
"La fascination qu’engendre la guérison de cette maladie causée par la morsure d’une araignée, et qu’on appelle depuis le Moyen âge le tarantismo, reste encore de nos jours un phénomène d’une complexité inexplicable. Tout aussi variées que les symptômes et les causes de la maladie sont les formes musicales censées les guérir.
Certains théoriciens attribuent les origines de cette danse rituelle au culte de Dionysos qui se répandit en Italie du sud au cours des siècles. La mythologie nous a laissé deux légendes sur l’origine de la tarentelle qui se racontent à Sorrente et à Capri – des poèmes homériques conservés par la tradition orale."
(Ces deux légendes sont associées au charme des Sirènes…)
Orphée, époque romaine |
"Orphée, qui par la magie de son chant parvient aux enfers, apprivoise les fauves et émeut les pierres, est associé à la tarentelle dans l’Énéide (traduit en langue napolitaine en 1699 par Nicola Stigliola) : Orphée, habillé d’une longue étole de prêtre, élève sa voix, et des sept cordes de sa lyre joue tantôt une chaconne, tantôt une tarentelle. Une nouvelle image du personnage mythologique se constitue devant nos yeux : dans un geste lié au culte sacral, Orphée, vêtu de l’étole sacerdotale, se sert de la tarentelle hypnotique, qui symbolise la magie, la guérison, la transe et l’éternité, puisque, musique sans début ni fin, elle implique le changement continuel au-dessus d’une stabilité immuable."
Christina Pluhar
Mélodies, rythmes, couleurs et instruments accompagnent la danza di transe, la danse extatique de l’araignée qui, par voie mimétique, fournit l’antidote, le remède de la délivrance. Possession contre possession. C’est un combat singulier entre l’animal (fût-il petit) et l’humain, entre les forces antagonistes du bien et du mal. Ces musiques s’inscrivaient bien sûr dans une durée beaucoup plus longue que celle du disque, en fonction du temps de réaction observé chez le malade (en majorité des jeunes femmes), jusqu’à ce que celui-ci atteigne un état de conscience modifié, propre à toute opération chamanique. La guérison, jamais définitive d’ailleurs, pouvait demander plusieurs jours de danse quasi ininterrompue.
Au XVIIe siècle, apparaissent les premières tentatives d’analyse scientifique de la musicothérapie : Matteo Zaccolini rédige en 1610 pour les Médicis A propos de la danse de ceux qui sont piqués par la tarentule, par rapport à la présence des objets colorés ainsi que du son, ouvrage non autorisé mais qui circulera cependant dans les académies italiennes. En 1641, Athanasius Kircher publie une étude sur la maladie et ses remèdes dans Magnes, sive de arte magnetica, ouvrage ésotérique, dont le chapitre sur le tarantismo discute non seulement de la musicothérapie mais également de la thérapie des couleurs pour traiter la maladie. En contact avec les compositeurs de l’époque, Kircher publie des extraits de leurs œuvres, qui seront les premières tarentelles écrites de l’histoire de la musique.
On retrouve dans ces sources un kaléidoscope d’instruments que la tradition moderne n’a retenus que dans une modeste mesure, nombre de ces instruments étant tombés en désuétude.
La deuxième partie du livret, rédigée par Jean-Paul Combet, président d’Alpha productions, apporte également des renseignements intéressants sur le phénomène de tarentulisme (qu’il faudrait appeler malmignattisme, du nom d’une autre araignée, de taille nettement inférieure à celle de la tarentule, mais plus vraisemblablement coupable de ces morsures). Effort de documentation appréciable, dont la référence à Ernesto de Martino, historien et ethnologue italien (1908-1965) qui a lui-même assisté à un rituel dans le sud de l’Italie, dont il était originaire, et qui en a témoigné dans La terre du remords (Le monde magique, tome III) :
Le cercle parcouru par la tarentulée commençait à se restreindre, la stabilité de la danseuse devenait incertaine, le rythme n'était plus suivi avec l'habituelle rigueur et tout se terminait par une caracole frénétique, annonçant la chute prochaine comme causée par un vertige. Les assistants, les bras ouverts, se pressaient autour de la tarentulée pour prévenir une débandade ou une chute dangereuse et s'efforçaient de la recevoir dans leurs bras lorsque, après le vertige de la caracole, la chute avait lieu, en désordre mais sans violence. L'orchestre cessait de jouer, on apportait à la tarentulée un coussin pour y poser sa tête et un verre d'eau ; les musiciens faisaient essuyer leur abondante sueur par les assistants ; puis, au bout d'une pause de dix minutes environ, l'orchestre reprenait l'initiative et le cycle se répétait avec toujours les mêmes phases.
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