La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.
Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)
Car,
qu'est-ce que l'académisme, enfin ? N'est-ce qu'un style, un
défaut, un manque ? Non, l'académisme, c'est l'esthétique du
nihilisme (et le refuge des non-dupes professionnels). Cela n'a rien
à voir, on s'en doute, avec l'optimisme et le pessimisme.../...
L'académisme (oui, celui-là même qui revient de partout et qui
nous donne le sale sentiment d'un retour aux « cinémas de
qualité » des années cinquante) n'est jamais que le sérieux
désabusé avec lequel on adopte la forme la plus traditionnelle et
la plus usée pour signifier par là qu'aucun contenu ne mérite
d'être travaillé par le souci d'une forme nouvelle. C'est une
démission certes, mais quant au fond aussi.
Entre
ces deux entités qu'il s'en voudrait de bousculer (le « grand
livre » à adapter et le « grand public » à
édifier), l'académisme maintient la distance (comme on dit « garder
ses distances »). Le public est seulement pris à témoin d'une
opération impeccable qui le concerne vaguement mais ne l'implique
jamais.
…/...
Quand on ne veut pas du tout « jouer » avec son public,
on n'arrive même plus – c'est normal – à lui raconter une
histoire.../... Un cinéaste, surtout lorsqu'il s'affronte à un
« grand sujet », c'est quand même quelqu'un qui allume
un feu entre son film et nous. Pour nous réchauffer, pour jouer
avec, pour mériter le risque de s'y brûler. Enlevez ce risque et le
cinéma devient une pauvre chose. Décente et morte.
Chronique
du 15 novembre 1984, à propos de 1984 de Michael Radford adapté
de 1984 de George Orwell.
qu'en
cet instant si tu t'installes en ton essence
tu
te meus, tu t'émeus et tu mens
selon
le mot émis par moi.
Je
dis mentir, c'est l'acte mental. Mentaler serait barbare. Et c'est
bien dit. La vérité ne se meut pas, ne s'émeut pas, ne se ment
pas. Elle n'est pas dans l'espace.
Parler
vraiment, c'est mentir exprès, pour suggérer la vérité. Si je te
dis : le chien est carnivore, c'est mentir, car il n'y a pas le
chien, mais des chiens ; mais ce mensonge te suggère le concept
viande ; c'est donc qu'il rentre dans cet autre concept, mangeur
de viande. Mais qu'est-ce que manger de la viande en général ?
Ça ne nourrit pas. À force de te mentir, à la fin peut-être tu
n'y tiendras plus et tu formeras une idée, tu formuleras une loi.
C'est là que le poète veut en venir.
« Marche !
Halte ! » ce sont des mots moteurs. Leur contradiction
engendre l'ahurissement, l'irrésolution ou, si tu y penses, l'idée
de marche.
On
m'a raconté l'histoire, orientale comme toutes ces histoires-là, du
crocodile qui, installé à un gué, dévorait les passants ; il
avait réellement entendu les bipèdes parler de vérité, et de ce
qui est vrai, et de ce qui n'est pas vrai, qu'il commença à
s'interroger dans sa cervelle plate, qu'est-ce que c'était que ça ?
Il finit par se dire : eh bien, j'interrogerai le prochain qui
passera. Une femme passe, et il lui dit : « Si tu me dis
la vérité, je ne te dévorerai pas. » Et elle : « La
vérité, c'est que tu vas me dévorer. » Alors quoi ? Le
malheureux grande-gueule n'a jamais pu sortir de là. Si l'on nous
disait la vérité, nous resterions comme lui, bouche bée, incapable
d'en faire usage.
Suggestions
pour un métier poétique (in Les pouvoir de la parole, Essais et
Notes II)
À
tous égards, c'est une position curieuse qu'occupe Serge Daney, en
tant que critique de cinéma et de « regardeur-regardé »,
mais c'est aussi une position curieuse qu'il occupa au cours de sa
vie physique, entre le siège de la « salle obscure » et
son nomadisme, lui qui s'est tout de suite reconnu citoyen du monde,
allant de pays en pays, vérifiant la promesse d'images, virtuelles
ou non, réarrangées sur l'écran de cinéma ou incarnées sur le
territoire du réel, à partir de la carte, qui lui sert de moteur
« action » (et de mise
en mouvement). Entre l'afflux des images en lieu clos et
l'influx de l'espace ouvrant des voyages. Dans l'extrait
vidéo, qui concerne l'atlas, il s'en explique très bien. Serge
Daney s'exprime avec une éloquence qui nous paraît toute naturelle
et possède surtout, ce qu'on peut encore vérifier trente ans après,
une lucidité dont la pointe n'est aucunement émoussée (elle en est
même encore plus aiguisée aujourd'hui). Il est bon de relire les
chroniques de son ciné-journal, de voir en intégralité les
entretiens filmés et de reconsidérer l'ensemble de ses écrits pour
bien se repositionner nous-mêmes, par rapport à l'état actuel du
cinéma, l'éclatement des dispositifs visuels et de nos moyens de
communication. Du coup, on regrette que Daney, mort des suites du
sida en 1992, n'ait pas pu vivre pleinement l'ère de l'internet
parce qu'il aurait très certainement apporté un regard critique de
premier ordre sur cette nouvelle source, pleine de potentiel mais
rapidement noyautée par le mercantilisme et piégée par les effets
du narcissisme.
Sur
le mythe, il apporte aussi des choses essentielles, au détour d'une
chronique consacrée au festival de Cannes de 1984 où deux films –
deux œuvres cinématographiques, osons-le dire – se trouvaient
alors en « compétition » : Paris, Texas de
Wim Wenders, qui obtint la Palme d'or, et Il était une fois en
Amérique, de Sergio Leone :
« Les
mythes, explique Mircéa Eliade, c'est toujours plus ou moins un
récit qui répond à une question : comment quelque chose (ou
quelqu'un) s'est mis à exister.
Ex-nihilo. Comment ça revient de nulle part. Les héros de Wenders
et de Leone reviennent de nulle part. Il y a un « trou »
dans leur vie : quatre ans pour Travis, plus de trente pour
Noodles, soit trente-quatre ans dont nous ne saurons rien. Une
« absence à eux-mêmes » qui les oblige ensuite à tout
recomposer, patiemment.
Car,
nous ne sommes plus à l'époque – naïve avec le recul – où il
semblait si souhaitable et si facile de tout « démystifier »,
à commencer par l'Amérique. Nous ne croyons même plus que la
psychanalyse soit notre dernière façon de nous arrimer, grâce à
nos névroses, à du mythe (Oedipe and Co).
Il
y a quelques années, l'itinéraire de Travis (prodigieux Harry Dean
Stanton), nous l'aurions analysé comme une reconquête-puzzle du
« moi » aux prises avec un « ça » enfoui et
un « surmoi » inhibant. Wenders aussi sans doute. Cela,
c'était Au fil du temps.
Cela, c'était Il était une
fois dans l'Ouest (Ah, le flash-back « joue
pour ton grand frère ! »), histoires de traumas
et de guérisons qui avançaient comme des récits d'analysants, avec
des digressions (l'opéra, l'errance) et des parenthèses. Le savoir
sur le mythe, d'aujourd'hui, ne sert à rien. Seul compte le goût de
déplier les histoires dont le mythe est porteur. Et là, on peut
dire que Leone se résume et se déchaîne et que Wenders se reprend
et s'éclate. »
D'où
découle la question finale : la poutre-maîtresse qu'est le
mythe est-elle toujours porteuse ? On voit que, soumise à forte
pression, elle s'affaisse dangereusement, au point de rompre et
d'entraîner la ruine de l'édifice, de l'ensemble de la « maison
cinéma ». Pour d'autres, moins optimistes (ou plus
pessimistes), il est évident que cette maison s'est depuis déjà
longtemps écroulée... que cela se reconstruit sur d'autres modes et
passe par d'autres voies. À tous égards, c'est une position
curieuse que celle du spectateur actuel, qui fait que le regardeur
se sent justement de moins en moins regardé.
extrait
de Serge
Daney, itinéraire d'un cinéfils,
entretien avec Régis Debray, réalisé par Pierre-André Boutang et
Dominique Rabourdin (1992)
D'autres
mondes, d'autres temps existent par-delà les mondes et les temps que
nous connaissons. Tous sont vrais, tous sont réels, et, comme le
savent les enfants, tous s'interpénètrent.
-
Ça ne peut pas être une vraie lune n'est-ce pas ?
Le
Soleil répondit : Qu'est-ce qui est réel, et qu'est-ce qui ne l'est
pas ? Peux-tu me le dire ? Peut-être n'en saurons-nous jamais plus
que ceci : il suffit de penser une chose pour la rendre réelle.
Et
ainsi, Michael appris qu'il tenait la Lune dans ses bras, et pourquoi
il la tenait vraiment.
-
Alors, dit Jane avec étonnement, est-il vrai que nous sommes là ce
soir ou alors pensons-nous seulement l'être ?
Le
Soleil sourit à nouveau, un peu tristement.
Mon
enfant, dit-il, ne cherche pas plus loin ! Depuis le commencement du
monde, tous les hommes se posent la même question. Et moi-même, qui
suis le Seigneur du Ciel, je ne connais pas la réponse !