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Illustration
de Alexios Tjoyas
« Sagesses
et Malices de M'Bolo, le lièvre d'Afrique »
(éditions Albin
Michel, 2002)
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Dans
cet ouvrage, rappelant à lui des souvenirs personnels, Kenzaburo Ôé
évoque un sentiment de nostalgie lié à la transmission de légendes
anciennes contées par sa grand-mère (§9, p.26 et suiv.). Longtemps
après avoir quitté son village de la forêt puis vécu dans
d'autres lieux, et alors qu'il vit à Tokyo depuis plus de dix ans,
l'auteur nous dit qu'il eut l'expérience de « voir renaître
avec vivacité le sentiment de nostalgie » éprouvé dans son
enfance, à la lecture d'un livre d'anthropologie sur les contes
folkloriques d'une tribu indienne d'Amérique. Il s'agissait,
précise-t-il, d'une étude sur la « mythologie du trickster »
chez les indiens Winnebago (dont votre lièvre
précieux a déjà parlé
ici).
Kenzaburô
Ôé rapporte l'histoire qui l'a en particulier retenu : « Un
trickster,
en se chauffant près d'un feu, se brûle le derrière ;
continuant à marcher sur un chemin, sans le savoir il revient sur
ses pas et ramasse un morceau de viande par terre et le mange. En
savourant ce mets, il s'aperçoit que c'est une partie de ses
intestins qui est tombée quand il s'est brûlé ; il se lamente
lui-même d'être aussi idiot […] et renoue les intestins restants.
À ce moment-là, il tire si fort que les fesses de l'homme sont,
depuis, contorsionnées comme on peut le voir à présent. »

Après
avoir décrit quelques traits de similitude entre les histoires du
trickster
Winnebago, figuré généralement comme en Afrique par le lièvre, et
celle de ses héros d'enfance Meisuké et Dôji (ce dernier étant la
réincarnation du premier), Kenzaburô Ôé s'explique sur ce
sentiment de profonde nostalgie : « Il me semble que je
voyais là surtout en surimposition (ou par surimpression) la
combinaison de ma propre enfance et de ma grand-mère qui me
racontait avec patience des légendes du village. »
L'auteur
en vient à se demander pourquoi elle l'avait choisi, lui, et aucun
autre. Mais probablement qu'elle avait reconnu en Kenzaburô un
auditeur de choix, qui allait se faire auteur et à son tour
médiateur des légendes anciennes, puisqu'il note lui-même plus
loin : « Quel qu'en fût le sujet, la narration de ma
grand-mère était habile et gaie. En effet, dès que j'avais
commencé à l'écouter, mon attention ne se relâchait plus. »