Votre
lièvre précieux, infatigable rongeur, est heureux de vous informer
que son dossier d'enquête des Voyages
et spéculations
lunaires s'est sensiblement épaissi. S'il est permis d'aller sur
l'astre par divers moyens, certains transports tels que les voyages
oniriques (ou mystiques) avaient été injustement délaissés,
compte tenu de leur immatérialité. Et quand on y songe, les
songes... oui, les songes peuvent se révéler troublants, plus
proches parfois de la réalité, d'une réalité autrement révélée
que par la voie scientifique, par la seule force de l'intuition ou de
l'imagination. Dans la série des "Suppléments" qui seront
mis en ligne successivement, il y aura donc quelques transports de ce
genre, mais aussi - et encore - des conjectures, des considérations,
des allégories, des paraboles... La lune a beaucoup fait écrire,
pour de multiples motifs, cependant la majeure partie des textes se
divise toujours entre utopies et dystopies, des modèles de sociétés
parfaites ou décadentes ; il y aussi beaucoup de satires sociales
et/ou politiques, et il est toujours pratique de se protéger de la
censure par l'art de l'équivoque, en se positionnant ailleurs que
sur notre planète. Il fut un temps où même les philosophes avaient
de l'humour, écrivaient des contes féroces et charmants...
Hakim
Abu’l Qasim Firdawsi Tusi, dit FIRDUSI (vers 94- vers 1020)
Shah-Nama,
ou Le Livre des Rois, circa 1010
Poème
épique en langue persane de cinquante mille versets, la plus longue
œuvre jamais écrite par un seul homme ! L'un des Livres contient un
voyage dans l’espace et vers la Lune, à l’aide de quatre aigles
accrochés à un trône, attirés par un morceau de viande tendu
devant eux.
2
John
LILY (v.1553/1554-1606)
Endymion,
The man in the moone 1588
The
woman in the moone, 1597
John
Lyly naquit dans le Kent en 1554. Il entra au Magdalen College à
Oxford en 1569 où il obtint son B.A. (Bachelor of Arts) en 1573 puis
son M. A. (Master of Arts) en 1575. Il y fut plus remarqué par son
"bel esprit" que par ses succès scolaires. Il s'installe à
Londres et vit dans un premier temps sous la protection du Comte
d'Oxford, Lord Burleigh. Il publia en 1578 Euphues
: the Anatomy of Wit,
suivi en 1580 par Euphues
and his England,
qui rencontrèrent tous les deux une grande popularité. Campaspe,
son premier spectacle, fut joué en 1581 et la plus grande part de
son œuvre dramatique le fut au cours de cette décennie. The
Woman in the Moone,
par contre, dut être joué plus tard, dans les années 1594-1595. En
1583, Lyly se maria avec Beatrice Brown, qui lui donna huit enfants.
Dans ses dernières années, il vécut dans l'attente d'un titre
d'honneur, espérant accéder à la charge de Maître des spectacles
de la cour, mais malgré le succès qu'il avait gagné avec son
travail littéraire, il ne put jamais obtenir de traitement de
faveur. Il mourut en 1606. Lyly occupe une position importante dans
le développement de la comédie sociale anglaise.
Endymion
est une comédie du théâtre élisabéthain. Le spectacle offre un
vivant exemple du culte de la flatterie à la cour d'Elisabeth I, et
elle fut considérée sans conteste comme la meilleure pièce de
Lyly, tant dans sa conception que sa réalisation. Le spectacle fut
donné à Greenwich par les Enfants de St Paul, en 1588. Comme le
titre l'indique, la pièce est basée sur l’histoire d'Endymion,
mais le lien avec le mythe est assez mince : il est surtout le
produit de l'imagination de Lyly, qui semble aussi avoir emprunté
des éléments de dialogue entre la Lune et Vénus de Lucien de
Samosate, d'autres provenant de la Commedia
dell'arte
et des comédies d'auteurs latins, tels que Plaute et Terence.
3
Michael
DRAYTON (1563-1631)
The
man in the moon, poème, circa 1605
poème
satirique et fantastique
Poète
anglais de l'ère élisabéthaine, Drayton semble avoir été en
faveur à la cour et il espérait qu'il en serait de même avec son
successeur, mais en 1603, quand il dédia un poème à James Ier en
l'honneur de son accession au trône, il fut ridiculisé et ses
services sévèrement refusés. L'amertume de l'écrivain trouva son
expression dans une satire, mais il n'avait aucun talent pour ce
genre de composition. En 1605, Drayton fit rééditer ses écrits les
plus conséquents et rassembla également de plus petites œuvres
jusqu'alors inédites, dans un volume non daté, mais probablement
édité la même année, sous le titre Poems
Lyric and Pastoral,
composé d'odes, églogues et d'une satire fantastique intitulée The
Man in the Moon.
Michaël
Drayton fut l'ami de quelques-uns des plus célèbres artistes de son
temps, comme Ben Jonson. On dit que Shakespeare fut aussi l'un de ses
amis.
4
Ben
JONSON (1572-1637)
News
from the New World Discovered in the Moon, 1620
Comédie
de masques représentée pour la première fois devant le roi James
Ier, le 7 janvier 1620, cette œuvre de Ben Jonson traite de
l'évolution des connaissances liées au satellite terrestre par les
astronomes de l'époque, dont le célèbre Galilée, au moyen des
télescopes récents, dans la suite de l'opticien hollandais Hans
Lipperchey qui avait fabriqué la première lunette d'approche en
1608. Leur observations, qui permirent de révéler l'existence de
massifs montagneux ainsi que d'autres curiosités géographiques et
géologiques à la surface de la Lune, furent considérées comme la
découverte d'un "nouveau monde".
5
Charles
Sorel, sieur de Souvigny (1602-1674)
Le
songe de Francion, extrait de L’histoire comique de Francion, 1623
(extrait
du Livre II (Livre III des éditions postérieures), connu comme "Le
songe de Francion" ; le même ouvrage, considérablement remanié
et augmenté, fut réédité en 1626 et là, au XIe Livre, se trouve
le morceau que nous reproduisons, d'après l'édition de Leyde, chez
Henri Drummond, 1686, t.2)
"Vous
savez que quelques sages ont tenu qu'il y avait plusieurs mondes. Les
uns en mettent dedans les planètes, les autres dans les étoiles
fixes ; et moi je crois qu'il y en a un dans la lune. Ces taches que
l'on voit en sa face, quand elle est pleine, je crois pour moi que c
'est la terre, et qu'il y a des cavernes, des forêts, des îles et
d'autres choses, qui ne peuvent pas éclairer : mais que les lieux
qui sont resplendissants, c'est où est la mer, qui étant claire
reçoit la lumière du soleil, comme la glace d'un miroir. Eh, que
pensez-vous, il en est de même de cette terre où nous sommes : il
faut croire qu'elle sert de lune à cet autre monde. Or ce qui parle
des choses qui se sont faites ici est trop vulgaire ; je veux décrire
des choses qui soient arrivées dans la lune : je dépeindrai les
villes qui y sont, et les mœurs de leurs habitants : il s'y fera des
enchantements horribles : il y aura là un Prince ambitieux, comme
Alexandre, qui voudra venir dompter ce monde-ci.
Cité
par Pierre Versins, Outrepart
(p.104-105, Lausanne, 1971)
Après
quoi, le personnage nommé Hortensius continue de discourir et se
lance dans d'autres considérations sur le microcosme, plagiant de
façon manifeste Blaise Pascal, son contemporain : "or il n'y a
si petit corps, qui ne puisse être divisé en des parties
innombrables"...