De
la femme
des petites provinces,
nous n'aurons aucune description, elle n'a même pas de biographie.
Nous voilà bien renseignés ! C'est donc sans
histoire que
nous sommes conviés à suivre ses traces au cours de ses menus
voyages. Il n'existe pas de diminutif, à ma connaissance, pour dire
un petit voyage. Excursion, incursion seraient des termes à la fois
trop vagues et connotés, par trop ampoulés... Elle rassemble ici
ses notes prises sur le vif auxquelles elle nous fait témoin, ou
plutôt tente d'assembler cette matière vivante et disparate, avec
toujours ce vieux rêve d'une pensée qui s'écrirait sans (trop) y
penser, de manière aussi évidente que la « pommalité »
de la pomme, par exemple. Atteindre cette "pommalité"
n'est pas chose facile (Henri Michaux, par le biais de Plume, s'y est
essayé), mais ce n'est pas tant le cœur de la pomme qui
l'intéresse, plutôt ce qui y gravite, autour du cadran des heures.
Ne dit-elle pas quelque part, en vraie chasseuse atmosphérique, que
l'héroïsme serait "une vue intérieure et verticale qui prend
en compte le temps dans tous ses états" ? À n'en pas douter,
Katy Rémy possède une voix particulière, et pas seulement une vue
intérieure
portée par ses qualités d'observation de la faune extérieure. Il
serait enfin temps de le remarquer.
Précisons
également que La femme des petites provinces est un vaste
chantier d'écriture, dont on aimerait saisir un jour la totalité
des tonalités, qui ne nous parvient pour l'heure que morcelée.
Quoiqu'il en soit des circonstances, votre lièvre précieux
attend patiemment le prochain opus, regardant au loin, vers l'oppidum
de Cemenelum, d'un air détaché (selon les pointillés).
En
attendant, avec la bienveillance de l'auteur(e) et de l'éditeur,
voilà un extrait :
"À
jamais s'impose à elle, assise là, dans un bar à marins du vieux
port, l'image de ce pauvre Robinson au dos écorché.
Ce
qu'elle note pourtant, c'est le lapin suspendu à la porte de la
grange, sec et racorni, sa forme pleine de sang sur la table, image
fétide. Le plein et le délié. On ne peut même plus prononcer le
mot écorchure en soignant un enfant, car c'est sa peau duveteuse qui
s'accroche au cœur. On voudrait dire et on ne le peut pas. La plaie
est plus facile à mentionner : elle est biblique et tient dans le
langage sentimental une telle place. Pour l'écorchure, il faut faire
intervenir l'écorcheur, le bourreau. Afin de permettre à ce mot
d'échapper au désastre, on a précisé "écorché vif".
Et alors, l'écorché mort, c'est le lapin ? Mais qui a testé son
cœur et son âme ? Qui sait quoi que ce soit de cet état de mort
qui puisse laisser entendre que l'on peut être écorché mort ?
Il
y avait une comptine quand elle était enfant :
L'écorché,
le lapin, le mort
Peau
sèche, racornie, pendue
Etc.
Complétons-la
donc :
Peau
de l'écorché
racornie
le
visage luisant
la
renie
Et
pour rire :
Et
ses pieds que j'entoure
de
papier d'argent pour
le
cuire farci
Important
: ce qui reste du lapin, et ce qui disparaît, c'est l'emblème, les
oreilles, forme de fourrure que nous ne mangerons jamais."
De
la même (h)auteur(e), signalons aussi la publication
quasi-simultanée de "Journellement" dans la collection
Courts Circuits des éditions Plaine Page.