Votre
lièvre précieux osait affirmer
ici que le mythe de la femme dans la lune, qu'on trouve principalement en
Asie (Chine, Japon) et dans les tribus indiennes d'Amérique du nord,
ne s'était pas répandu en Europe... Fausse présomption.
M. Timothée
Rey (1) ayant visité ce blog, a attiré mon attention sur Sabine
Sicaud, enfant-poète née à Villeneuve sur Lot et morte à 15 ans
en 1928, ayant écrit un sonnet intitulé La vieille femme
dans la lune, probablement inspiré du folklore régional ou
voisin, mais transposé du masculin au féminin (l'homme dans la
lune, comme nous le verrons, est présent dans des contes du pays
Basque et de Gascogne).
La
particularité de cette femme est de porter un fagot sur son dos ;
un fagot d'épines, généralement. Les légendes se recoupent,
chacun les raconte à sa manière et introduit des variantes :
dans sa version masculine, nous avons noté qu'en Allemagne et en
Angleterre, l'homme dans la lune portait également un fardeau de
même nature, puni de ne pas avoir respecté le repos dominical et
accusé parfois d'avoir dérobé le bois de ses concitoyens, mais le
voleur ou le transgresseur, dans des légendes qu'on racontait en
Suède, Norvège et Danemark, se retrouve aussi exilé sur l'astre...
Le
cas de la vieille femme dans la lune qui transporte son fagot est
assez rare pour être mentionné. Pour le reste, dans la totalité
des extraits que nous allons découvrir, c'est son homologue masculin
qui joue le rôle du banni, même si dans certaines occurrences, la
femme l'est aussi, s'étant montrée fautive d'avoir baratté ou
lessivé le jour du Seigneur. Ainsi que nous l'indique Edouard
Brasey, dans La
Lune - mystères et sortilèges
:
Le
malfaiteur est généralement condamné à porter sur le dos l’objet
de son délit, le plus souvent un fagot de bois qu’il est accusé
d’avoir ramassé un dimanche, au mépris de la trêve dominicale
censée être consacrée au repos et à la prière.
Contrairement à mes premières recherches, L'homme dans la lune n'est pas seulement présent en Angleterre ou en Allemagne, mais apparaît dans de nombreuses histoires qui se racontaient dans la plupart des régions de France, en Belgique... Cela prouve que cette légende fait au moins partie du domaine folklorique européen, même si Victor Hugo, dans ses Proses philosophiques, étendait cette croyance à résonance biblique au-delà de ces limites territoriales, affirmant :
Contrairement à mes premières recherches, L'homme dans la lune n'est pas seulement présent en Angleterre ou en Allemagne, mais apparaît dans de nombreuses histoires qui se racontaient dans la plupart des régions de France, en Belgique... Cela prouve que cette légende fait au moins partie du domaine folklorique européen, même si Victor Hugo, dans ses Proses philosophiques, étendait cette croyance à résonance biblique au-delà de ces limites territoriales, affirmant :
C'était jadis une opinion universelle qu'on pouvait apercevoir distinctement dans la lune un homme suivi d'un chien et portant un fagot sur ses épaules.
La question était de savoir qui était cet homme. Certains pensaient qu'il « n'était autre que Caïn …/... Cette opinion était générale en Italie, ainsi que le prouve ce verset du Dante : Mais viens désormais, car déjà Caïn avec son fardeau d'épines occupe la limite des deux hémisphères et touche la mer sous Séville (L'Enfer, Chant XX).
Victor Hugo, Promontorium Somnii (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 1961)
Je dois aussi à mon correspondant de m'avoir fourni un poème de Raymond Queneau qui met en scène le personnage de l'homme dans la lune, avec son chargement :
La lune
Sur la lune de lait caillé
on voit un bonhomme
il porte sur son dos
un fagot de gros bois
ça
doit être bien lourd
car il n’avance pas
il est là chaque mois
bûcheron d’autrefois
sur la lune de néon
car il n’avance pas
il est là chaque mois
bûcheron d’autrefois
sur la lune de néon
il
est déjà parti
il n’y a plus personne
entre la mer des Crises
et la Sérénité
sur la lune de coton
on a peint les yeux la bouche
le nez et un gros bouton
sur lequel dort une mouche
il n’y a plus personne
entre la mer des Crises
et la Sérénité
sur la lune de coton
on a peint les yeux la bouche
le nez et un gros bouton
sur lequel dort une mouche
toujours
on a eu l’impression
que cet objet astronomique
était à portée de la main
familier, mélancolique
Raymond Queneau
que cet objet astronomique
était à portée de la main
familier, mélancolique
Raymond Queneau
Faisons maintenant une incursion en Belgique, avant de nous intéresser à diverses régions de France :
Les récits populaires d'Asie et d'Amérique ont formé à partir des taches de la surface lunaire l'image d'un lièvre ou d'un lapin, ceux de chez nous y ont dessiné des silhouettes humaines...
Ce
qu'on voyait d'abord, c'était un dos courbé. Des gestes furtifs,
des pas de loup. Dans le bois communal de Châtelet, Bruno, une fois
de plus, profitait de la nuit pour dérober des fagots. C'était sa
spécialité. Rien ne l'arrêtait, ni le vent, ni la neige, ni la
pluie, ni les crocs des chiens propriétaires. Chaque nuit sans lune,
il fagotait du bois mort sur le compte d'autrui.
Ce
que la clarté découvrit soudain, c'était son dos voûté. Bruno se
redressa, furieux. Le disque lunaire venait de déchirer le mouchoir
des nuages. Dérangé dans sa tâche, Bruno se mit à injurier
l'astre, proférant mille menaces, agitant une fourche vengeresse.
Sur le champ, la lune l'attira et l'enferma. Bruno y est encore,
enclos dans la montre des pleines lunes, jusqu'à l'éternité.
Ce
qu'on voyait, c'était un dos courbé. Le dos voûté de Bruno
portant son fagot. La silhouette du chapardeur à jamais enclavée
dans l'astre gris.
Ainsi
les vieux de Châtelet expliquaient-ils l'étrange géométrie des
dessins formés par les taches de lune. A Godarville, l'homme au
fagot se nommait Pharaon. La légende, que le christianisme a marquée
au passage, raconte que Pharaon dérobait, par une nuit sombre, les
navets d'un voisin. Il fut soudain dérangé par un clair de lune
imprévu. Craignant d'être reconnu, le maraudeur saisit un fagot
d'épines, l'éleva avec sa fourche et voulut ainsi occulter le
cercle lunaire. Pour le punir, Dieu l'attira dans l'astre. On y
distingue encore aujourd'hui, affirme la légende, la forme du voleur
de navets.
Il
arrive - mais rarement - que la lune prenne le nom de l'un de ses
hôtes. C'est le cas à Jamioulx, où l'on disait plaisamment :
«Bruno n'est pas encore levé» pour signifier que la lune ne l'était pas encore. En Hainaut, l'astre est souvent appelé «La Belle». Peut-être pour nous prouver que, si les légendes, au pays de Charleroi, ont négligé le soleil, elles ont, par contre, révéré la lune, celle qui se lève avec tous les mystères, celle qui sonne l'heure du sabbat, celle qui ne cesse d'introduire l'homme dans la salle d'attente de ses fantasmes et de ses peurs.
Légendes et contes du pays de Charleroi, Châtelet : Bruno dans la lune
«Bruno n'est pas encore levé» pour signifier que la lune ne l'était pas encore. En Hainaut, l'astre est souvent appelé «La Belle». Peut-être pour nous prouver que, si les légendes, au pays de Charleroi, ont négligé le soleil, elles ont, par contre, révéré la lune, celle qui se lève avec tous les mystères, celle qui sonne l'heure du sabbat, celle qui ne cesse d'introduire l'homme dans la salle d'attente de ses fantasmes et de ses peurs.
Légendes et contes du pays de Charleroi, Châtelet : Bruno dans la lune
Les
mères
basques
racontent à leurs enfants qu’un homme s’était chargé un
dimanche d’un fagot d’épines destiné à combler un trou dans la
haie de son jardin. Dieu, surnommé Jainco, prit l’homme sur le
fait et le punit en l’envoyant sur la Lune avec son fagot, après
lui avoir dit : ‘’Puisque tu n’as pas obéi à ma loi, jusqu’à
la fin du monde, tout les soirs tu éclaireras.’’
Un récit originaire du Bourbonnais présente comme protagonistes une femme ayant fait sa lessive le jour de Pâques et son voisin ayant bouché sa clôture avec des épines le jour de Noël. Pour ces deux manquements inqualifiables, ils furent condamnés à s’exiler, la femme dans la Lune et l’homme, dans le Soleil. Or, il faisait si froid dans la Lune et si chaud dans le Soleil, que l’homme et la femme demandèrent à Dieu de bien vouloir les autoriser à changer de place. «ce fut au tour de l’homme d’avoir trop froid et à la femme d’avoir trop chaud. Ils voulurent à nouveau changer de lieu, mais cette fois, Dieu ne le permit pas.
Dans certains cas, la faute invoquée pour punir le coupable, est un manquement aux règles élémentaires de la charité et de l’hospitalité. Ainsi, les paysans du Bocage vendéen disent que l’homme est condamné à porter éternellement son fagot dans le froid de la nuit pour avoir refusé d’accueillir Jésus dans son foyer. Dans d’autres, c’est pour avoir menti en invoquant la Lune que le voleur se trouve emporté dans les cieux. C’est alors la Lune elle-même qui se fait justice, sans passer par l’intermédiaire de Dieu.
Un récit originaire du Bourbonnais présente comme protagonistes une femme ayant fait sa lessive le jour de Pâques et son voisin ayant bouché sa clôture avec des épines le jour de Noël. Pour ces deux manquements inqualifiables, ils furent condamnés à s’exiler, la femme dans la Lune et l’homme, dans le Soleil. Or, il faisait si froid dans la Lune et si chaud dans le Soleil, que l’homme et la femme demandèrent à Dieu de bien vouloir les autoriser à changer de place. «ce fut au tour de l’homme d’avoir trop froid et à la femme d’avoir trop chaud. Ils voulurent à nouveau changer de lieu, mais cette fois, Dieu ne le permit pas.
Dans certains cas, la faute invoquée pour punir le coupable, est un manquement aux règles élémentaires de la charité et de l’hospitalité. Ainsi, les paysans du Bocage vendéen disent que l’homme est condamné à porter éternellement son fagot dans le froid de la nuit pour avoir refusé d’accueillir Jésus dans son foyer. Dans d’autres, c’est pour avoir menti en invoquant la Lune que le voleur se trouve emporté dans les cieux. C’est alors la Lune elle-même qui se fait justice, sans passer par l’intermédiaire de Dieu.
Edouard Brasey, La lune : mystères et sortilèges, édition du Chêne.
Dans
la plupart des communes, on explique la présence des taches sur le
disque lunaire, en affirmant qu’il s’agit d’un homme portant
une fourchée de buisson sur son épaule, exilé là par Dieu qui a
voulu le punir pour avoir travaillé un dimanche.
A
Saint Yrieix et à Saint-Just on ajoute qu’à côté de l’homme
chargé du fagot d’épines, on peut voir une femme à genoux lavant
son linge, punie elle aussi, pour le même motif que son mari.
D’autres affirment encore que c’est la Sainte Vierge à genoux
berçant dans ses bras l’enfant Jésus, ou que cet homme de la lune
ne serait autre que Saint Jean-Baptiste
Folklore du Limousin, L'homme et la femme dans la lune.
Dans
le folklore européen, c’est l’obscure silhouette de l’homme de
la Lune que nous voyons se profiler sur l’astre nocturne. Le pauvre
a été expédié manu militari sur notre satellite pour avoir
transgressé la sacro-sainte règle interdisant à tout bon chrétien
de travailler le dimanche ou à Noël.
En
Sarthe, l’homme de la Lune était un pauvre bougre qui avait
été surpris en train de voler du bois le jour du Seigneur, et qui
s’est retrouvé là-haut avec son fagot.
Pour
le Gascon, c’était un
paysan qui avait voulu clôturer son champ au lieu d’aller à la
messe et qui a été transporté — avec ses piquets — sur notre
satellite.
Un
bonhomme du Gers qui avait ramassé son bois le jour de Noël a connu
le même sort et, en Allemagne,
l’homme de la Lune tient le balai qu’il avait osé fabriquer un
dimanche.
La
Lune sent le fagot et les
Bretons, très au fait des choses de l’autre monde,
assuraient que le personnage qui y apparaît n’est autre que le
Diable lui-même. Il brandit avec délectation la fourche avec
laquelle il va attraper ses damnés et les jeter dans son four.
Selon
un conte du Perche,
riante région de Normandie, un soldat appelé La Ramée avait réussi
un jour à capturer le Diable et à l’enfermer dans un sac. Il
l’avait ensuite expédié sur la Lune, grâce à un énorme canon
de son invention. Depuis, le Malin y erre comme une âme en peine et
barbouille son disque de traces de poudre et de suie…
Lune :
un astre de légendes, Leïla Haddad (AFA, N°371, avril 2001)
[…]
L’importance de l’ajonc autrefois était encore marquée par sa
présence dans les traditions populaires en Bretagne et dans les pays
celtiques. Il en est tout d’abord question dans la légende du
voleur d’ajonc, al laer lann. Si vous regardez bien la
pleine lune par une nuit claire, ce n’est ni la mer de la
tranquillité ni l’océan des tempêtes que vous apercevrez mais le
voleur d’ajoncs, le gars au fagot d’ajonc sur le dos, paotr e
vec’h lann, ur fogodenn lann war e choug. En pays gallo, c’est
« l’homme dans la lune avec sa fourchée de jans ». Voici ce
qu’on raconte un peu partout en Bretagne :
Un
soir d’hiver, par un beau clair de lune, un seigneur, revenant un
peu plus tard que d’habitude rencontra un voisin, assez mal famé
qui portait sur son dos plusieurs fagots d’ajonc sec. Il l’aborda
et lui dit : – Tu as pris cet ajonc dans ma lande. – Jamais de la
vie, répondit le paysan, cet ajonc ne vous appartient pas. –
Jure-le donc par la lune que voilà. Et il lui montrait du doigt, la
lune, au haut du ciel. – Que la lune m’engloutisse, si j’ai
pris cet ajonc sur vos terres ! Il n’avait pas fini sa phrase qu’il
fut avalé par la lune. Et il est depuis sur la lune, condamné à
porter éternellement son
fardeau
d’ajonc au vu et au su de tout le monde.
Le
même thème est évoqué dans de nombreux pays en Europe. C’est le
cas, par exemple, en Irlande :
On
disait que l’homme dans la lune avait un fagot d’ajoncs sur le
dos, qu’il avait pris dans la brèche d’une clôture laissant son
bétail piétiner les récoltes d’un voisin. Une autre version dit
qu’il porte sur l’épaule un buisson d’ajonc qu’il a volé à
ses parrain et marraine.
Cette
croyance ne date pas d’hier. Elle figure déjà dans le traité De
naturis rerum écrit en 1180 par l’Anglais Alexandre Neckam
(115 7-1217) qui précise : « Le vulgaire prétend que c’est un
paysan qui porte des épines dans la lune. De là, on disait dans le
peuple : le paysan dans la lune, écrasé par un fardeau, montre par
ses épines que les rapines ne servent à personne. »
On
voit évidemment l’utilisation pédagogique qui a pu être faite de
cette légende pour inciter à respecter la propriété d’autrui, à
ne pas voler et à ne pas mentir.
La
lande, un paysage au gré des hommes, Daniel Giraudon
Nous
finirons par ce qui constitue le plus curieux exemple, issu du
continent africain :
En
tamajaght, dans le massif de l'Aïr (capitale Agadez), les
noms particuliers qui désignent les différents états de la lune,
renvoient à la sémantique du corps féminin producteur de vie : la
pleine lune se dit tekkar, elle est "enceinte", car
perçue comme celle qui, cycliquement et inlassablement, accouche de
la vie, des itinéraires, des saisons. La lune est associée à
l’organisation et à la régularité de tous les flux (temps, cours
d’eau, lait, menstrues…). Quand la lune commence à décroître
jusqu’à devenir une fine lame à l’horizon, on dit qu’elle est "élimée", "râpée" (takrad), terme associé à
l’idée qu’elle a beaucoup travaillé. Enfin, le nom de Tayurt
est rapproché de éwar : la "montée". Quand la lune
monte, c’est pour se mettre entre les hommes et le soleil.
Lorsqu’elle arrive à l’horizon, au levant, elle est vue dans les
représentations populaires comme une mère qui porte un fagot sur
son dos. On pense que c’est pour cette raison qu’elle n’est pas
éclairée : elle amène du bois afin d’allumer son feu. Il y a des
nuits où elle "materne", d’autres où elle "sèvre",
c’est-à-dire n’apparaît pas, d’autres où elle vient juste
pour saluer et se retirer. Elle a cette image vivante de
l’épouse-mère qui change et se renouvelle (titciwtcat) au
fil des jours. Prise par ses activités, elle arrive souvent en
retard au contraire du soleil (tefukt), toujours ponctuel.
Lune
chez les Touaregs (Encyclopédie Berbère, XXVIII-XXIX-L : 4439-4441,
Edisud, 2007)
(1)
Timothée Rey a lui-même écrit une nouvelle en hommage entre autres
à cette poétesse et titrée « La vieille qui, là-haut, porte son
fagot noir ») dans un numéro de la revue Fiction,
tome 9, février 2009 (éd. Les Moutons Électriques, repris dans le
second recueil qu'il a publié chez le même éditeur en 2011 :
Dans
la forêt des astres,
2011).
La plupart des contes et croyances cités ici sont repris des travaux d'ethnologie de Paul Sébillot (1843-1918) qui fit paraître en 1904 "Folklore de France", dont le tome I est consacré au Ciel et à la terre. L'ouvrage a été réédité chez Omnibus en 2002, sous la direction de Francis Lacassin, mais n'est plus disponible qu'en occasion.
La plupart des contes et croyances cités ici sont repris des travaux d'ethnologie de Paul Sébillot (1843-1918) qui fit paraître en 1904 "Folklore de France", dont le tome I est consacré au Ciel et à la terre. L'ouvrage a été réédité chez Omnibus en 2002, sous la direction de Francis Lacassin, mais n'est plus disponible qu'en occasion.