La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

dimanche 22 janvier 2012

Le songe du jugement dernier, Francisco de Quevedo [extrait]

Don Francisco de Quevedo Y Villegas, naquit à Madrid en 1580, issu d’une famille qui appartenait à la noblesse rurale, dont plusieurs membres occupaient des charges à la Cour. Par cette position, Quevedo s’intéressera toujours aux questions politiques et sociales, aux affaires publiques espagnoles. Admis en 1617 Chevalier de l’Ordre de Saint-Jacques, mais plusieurs fois banni, assigné à résidence et emprisonné, jusqu’en dernière période de sa vie, de 1639 à 1643, alors qu’il était déjà malade, ce dont il ne se remettra pas (il meurt en 1645).

Il écrivit El Sueño del Juicio final dès 1605 après s’être fait connaître comme poète et satiriste, et la postérité le retiendra justement comme tel, à travers ses Songes et discours, ses Sonnets ou son roman picaresque El Buscón (« Le Fripon », qui fit l’objet d’une dénonciation auprès de l’Inquisition) bien plus que par ses œuvres dites sérieuses (on lui doit aussi Heurs et malheurs du trou du cul, farce rabelaisienne qui fut diffusée sous le manteau et sans nom d’auteur [1]). Une première publication de Les Sueños eut lieu en 1627, sans accord explicite de Quevedo, qui comprenait cinq textes satiriques rédigés entre 1605 à 1622, sous le titre complet de Songes et Discours de Vérités qui dévoilent des Abus, des Vices, et des Tromperies, dans tous les Offices et États du Monde. Dans la postface de l’édition française, Marie Roig Miranda note que Quevedo ne « prit la responsabilité de les publier qu’en 1631, après les avoir corrigés et paganisés pour échapper à la censure de l’Inquisition ».

 
[…] Car je tiens pour tombé du ciel un rêve que je fis les nuits passées après m’être endormi sur un livre du bienheureux Hippolyte traitant de la fin du monde et de la seconde venue du Christ, et qui fut cause que je rêvai du jugement dernier. Et bien qu’il soit difficile de croire qu’en la maison d’un poète il y ait quelque jugement — fût-ce au cours des rêves —, il y en eut dans la mienne pour la raison que donne Claudien dans la préface au livre 2 de l’Enlèvement de Proserpine, à savoir que tous les animaux voient dans leurs rêves nocturnes comme les ombres de ce qui les a occupés pendant le jour ; et Pétrone Arbitre dit à ce propos :

    Et canis in somnis leporis vestigia latrat
    [Et le chien aboie qui en rêve est sur les traces du lièvre]

et parlant des juges :

    Et pauidi cernunt inclusum chorte tribunal
    [Et saisis de crainte, ils voient le tribunal qui tient audience]

 Je crus donc voir un jeune adolescent qui allant et venant dans les airs s’époumonait dans une trompette, effort dont pâtissait un peu la beauté de ses traits. La sonnerie obtient la soumission des marbres et l’écoute des morts, et bientôt la terre entière commença à trembler et à expulser les os, qui sans délai se mirent en quête les uns des autres ; et après un temps, assez court cependant, je vis ceux qui avaient été soldats et capitaines se dresser hors de leurs sépulcres avec colère, à ce qu’ils jugeaient être un appel aux armes, les avaricieux trembler et se lamenter en croyant ouïr le tocsin, et les esclaves du plaisir et des vanités se réjouir d’une explosion sonore qui ne pouvait que signaler une chasse ou un raout. Voilà ce que je pouvais lire sur le visage de ces gens, mais je ne reconnus point que le son volât de trompe à oreille qui fût prête à l’entendre comme chose de jugement.
 
Puis je notai que certaines âmes ne s’approchaient qu’avec la plus grande répugnance, et que d’autres, épouvantées, fuyaient leurs corps d’autrefois. À celui-ci il manquait un bras, à celui-là un œil, et je partis à rire en observant la variété des figures et admirai la divine providence qui prenait soin, alors que tous étaient mêlés, qu’aucun par une erreur de calcul ne s’attribuât les jambes ou les bras d’un voisin. Dans un cimetière, toutefois, il me parut que l’on procédait à un échange de têtes, et qu’un greffier auquel ne plaisait guère son âme prétendait qu’elle ne lui appartenait point afin de l’écarter.





Songes et discours (José Corti, 2003 — Collection Ibériques)
Traduit par Annick Louis et Bernard Tissier

[1] Heurs et malheurs du trou du cul
(Petite collection, éditions Mille et Une nuits)


lundi 9 janvier 2012

Le pourquoi du n’importe quoi, Rémy Leboissetier [ Maximes et Mixtures, vol. 9 ]

Initiée en 1998, MAXIMES ET MIXTURES se présente comme une collection littéraire "destinée à recueillir les plus larges impressions de l’expression brève" et se décline, selon les thèmes retenus, par des apports divers, une combinaison d’observations et de considérations, avec le support de citations référentielles. Au sujet de ce genre et de sa forme stylistique, l’auteur note : 

Par ce qu’elles donnent à voir et à entendre, les petites formes littéraires demeurent essentielles : c’est une humeur, un état d’esprit, un art de la touche qui conjugue rigueur et souplesse, gravité et légèreté.

MAXIMES ET MIXTURES est aussi un espace d’échange entre le texte et l’image, puisque chaque titre de la collection s’accompagne d’œuvres d’artiste : LE POURQUOI DU N’IMPORTE QUOI comporte 6 collages numériques originaux d’Estelle Brun.

Ce nouvel ensemble de maximes et « mixtures » — n’oublions pas la cuisine des mots, chère à l’auteur [1] — s’articule autour d’un thème qui force l’interrogation. Sur le sujet, pour ajouter à notre perplexité, Rémy Leboissetier affirme avoir fait œuvre typiquement "nawakienne" (de nawak, forme argotique dérivée de n’importe quoi). Plus précisément, le livre tente de saisir les différentes facettes d’un "n’importe quoi" exprimé de façon courante, au regard d’une société qui apparaît passablement déboussolée. Entre "formes du pensable et figures de l’impensé", l’auteur a mené une mission d’exploration et dresse à partir de là une sorte d’état des lieux, faisant lui-même part de son trouble, entre ce qui constituerait deux extrêmes : "point radar du néant" et "délire euphorisant".

[1] Cuisine à laquelle est réservée une deuxième collection, MŒTUS, qui s’intéresse à « l’enfance du signe et la genèse des mots » et déploie une gamme de fantaisies littéraires.