Les
taches de la lune ont excité à toutes les époques et sous les
latitudes les plus diverses la curiosité populaire et, l'imagination
ou la suggestion aidant, on y a vu, soit la représentation d'êtres
ou d'objets extrêmement variés qui y sont parvenus dans des
circonstances merveilleuses, soit des empreintes en relation avec les
gestes et les légendes de l'astre des nuits.
À
de rares exceptions, les taches de la lune dont parlent les
traditions recueillies à l'époque contemporaine en France et en
Wallonie sont anthropomorphes (comme la plupart des phénomènes de
paréidolies) : elles représentent le plus habituellement un
personnage transporté dans cet astre par punition, et qui y reste
exposé aux regards de tous, comme à une sorte de pilori, pour
servir d'exemple et d'avertissement aux hommes qui pourraient être
tentés de commettre des actes analogues à ceux qui l'y ont amené.
Afin que la leçon soit plus frappante, le coupable porte fréquemment
sur son dos l'objet qui a servi à l'accomplissement du méfait pour
lequel il a été condamné.
Suivant
une série nombreuse de légendes que l'on rencontre dans le folklore
germanique, Scandinave et anglo-saxon aussi bien que dans celui de
France, l'homme de la lune y a été relégué pour une faute
religieuse, qui, dans les pays chrétiens,
est d'ordinaire la violation du repos dominical.
Parfois
l'homme dans la lune est puni d'un manque de charité ; on sait que,
d'après des traditions anciennes, constatées à peu près sous
toutes les latitudes, des villes ou des individus, qui n'ont pas eu
pitié des pauvres voyageurs, sont engloutis sous les eaux ; quelques
légendes françaises parlent du châtiment aérien infligé en
pareille occurrence à des gens inhospitaliers : le coupable, au lieu
de disparaître sous le sol, est relégué dans la lune.
Dans
les mêmes pays où l'homme de la lune est puni pour avoir enfreint
une loi ecclésiastique ou manqué de charité, des légendes parlent
de lui comme d'un voleur puni de déprédations nocturnes. Dans le
plus grand nombre des légendes, le coupable, aussitôt après sa
faute, est relégué, vivant, dans l'astre des nuits, et il doit y
rester jusqu'au dernier jour du monde, sans pouvoir mourir.
Plusieurs
récits disent que le coupable n'est pas seulement puni par la
souffrance physique qui, dans beaucoup de légendes, semble causée
par le froid ou par l'obligation de se promener ou de travailler sans
relâche ; il éprouve aussi une terrible honte d'être exposé aux
regards de tous. C'est pour être moins souvent soumis à cette
espèce de pilori que le voleur d'un récit breton choisit la lune
plutôt que le soleil, parce qu'il y sera moins souvent vu.
Dans
la grande majorité des légendes (35 sur un peu plus de 50),
l'accessoire de l'homme dans la lune est un fagot, et cet objet est
en relation avec un acte coupable commis pendant le séjour sur terre
du personnage maudit ou châtié. La fréquence du fagot d'épines
dans les punitions des attentats à la propriété, tient
vraisemblablement à ce que le vol de bois est celui qui se commet le
plus souvent la nuit.
On
peut se demander si, suivant une hypothèse plusieurs fois émise par
ceux qui se sont occupés des taches de la lune, la source de cette
branche de la tradition ne serait pas un passage des Nombres XV,
32-30 : lorsque les fils d'Israël étaient encore dans le désert,
ils virent un homme assemblant du bois le jour du sabbat ; ils
l'amenèrent à Moïse et à Aaron qui le mirent en prison, ne
sachant que faire de lui. Dieu ayant été consulté par Moïse, dit
qu'il fallait le conduire hors du camp et le lapider. M. René Basset
pense que cet épisode de la Bible aura pu ensuite être combiné, à
une époque que nous ne connaissons pas, avec l'enlèvement dans la
lune appartenant à une autre légende.
Paul
Sébillot, Folk-lore de France, Tome premier : Le ciel et la
terre [extraits]
France
FEVRIER
/ JOB (Midi-Pyrénées)
D'après
une tradition recueillie d'abord dans les Hautes-Pyrénées, puis
dans le Gers, avec de simples différences de rédaction, Dieu se
montra à un homme qui ne se reposait pas même les dimanches et les
grandes fêtes : « Je te pardonne, lui dit-il, quant au passé, mais
désormais ne travaille plus que les jours qui sont licites. »
L'homme était en faute pour la troisième fois, portant sur son dos
un fagot d'épines, lorsque Dieu survint et lui dit : « Tu ne m'as
pas obéi ; je vais te punir et te retirer de la surface de la terre
; je t'exilerai, à ton choix, dans le soleil ou dans la lune ?»
Dieu vint à son secours, disant : « Le soleil, c'est un feu ardent,
et la lune, c'est la glace. » L'homme ayant, après réflexion, opté
pour la lune, Dieu l'y transporta. Comme on était au mois de
février, cet homme s'appelle Février ; parce qu'il n'a point voulu
se reposer, il n'aura plus de repos dans l'astre qui marche toujours.
Dieu proposa la même alternative au bonhomme Job, occupé le
dimanche à boucher une brèche de son champ. Il choisit le soleil,
mais l'ayant trouvé trop chaud, il obtint d'être transféré dans
la lune.
ANONYME
(Aquitaine)
D'après
une tradition gasconne, un paysan qui avait l'habitude de ne pas
observer le repos dominical, se leva de bon matin, le jour de Pâques,
et alla couper une bourrée. Comme il retournait à son village, au
moment de la sortie de la grand'messe, le vent l'emporta dans la
lune avec son fagot, et il y demeurera jusqu'au jugement dernier.
SAINT
GÉRARD (Limousin)
Bien
d'autres personnages, dont la légende est parfois assez succincte,
expient aussi une faute religieuse. En Limousin, c'est saint Gérard,
qui a été envoyé là-haut, au froid, avec son fagot, pour avoir
employé tous les dimanches à réparer ses haies.
BOUETIOU
le Boiteux (Auvergne)
C'est
aussi pour avoir ramassé des buissons le dimanche, que Bouétiou,
l'homme dans la lune de l'Auvergne, y a été transporté avec sa
charge.
ANONYME
(Vendée)
En
Vendée, un homme n'ayant pu chauffer son four le samedi, essaya de
l'allumer le dimanche, depuis, il porte un fagot d'épines là-haut
sans y parvenir.
Les
paysans du Bocage vendéen montrent un homme dans la lune qui, ayant
refusé à Jésus une place à son foyer, porte un fagot, au froid,
sans parvenir à se réchauffer.
NICODEME,
LE JUIF ERRANT, LE DIABLE, PIERROT (Haute-Bretagne)
En
llle-et-Vilaine un paysan étant allé, le jour du Seigneur, chercher
dans la forêt du bois pour son four, fut enlevé dans la lune avec
sa bourrée.
Aux
environs de Guingamp, c'est le Juif Errant que certaines
personnes aperçoivent dans la lune ; il est condamné à rester tout
seul là haut et il amasse sans cesse des fagots pour brûler la
terre au dernier jour. Dans ce pays, de même que sur le littoral des
Côtes-du-Nord, c'est en effet par la lune que la terre sera alors
consumée. La température de notre satellite étant, d'après
l'opinion populaire, d'une froideur exceptionnelle, il aura du mal à
amasser assez de bois pour en faire un brasier. Pourtant quelques
personnes en Ille-et-Vilaine disent que Dieu a créé la Lune pour la
nuit, parce qu'il savait bien que pendant le jour elle aurait chauffé
trop dur la terre.
La
fourche, au bout de laquelle le coupable d'infractions au repos
dominical ou à la probité transporte assez fréquemment la bourrée
qui fait son supplice, est aussi l'un des attributs de l'ange déchu
; cette idée a peut-être contribué à la formation de deux
légendes qui jusqu'ici n'ont été relevés qu'en Haute-Bretagne :
en Ille-et-Vilaine, le personnage de la lune est parfois le diable,
et il porte au bout de sa fourche les damnés qu'il va enfourner ;
sur le littoral dos Côtes-du-Nord, il amasse des fagots pour
alimenter le feu de l'enfer.
Un
récit du littoral des Côtes-du-Nord raconte, avec plus de détails,
les circonstances qui motivèrent la punition d'un paysan à la fois
larron et égoïste ; mais châtié surtout pour ce dernier défaut.
Pierrot dérobait les fagots de ses voisins, mais ne permettait à
personne de se chauffer chez lui. Un soir qu'il faisait un froid très
vif, un vieillard pauvrement vêtu lui demanda la permission d'entrer
pour se chauffer au bon feu qui flambait dans sa cheminée. « Passe
ton chemin, répondit Pierrot, ma maison n'est pas faite pour les
vagabonds !
— Tu
me refuses une petite place à ton foyer, dit le passant ; pourtant
le bois que tu brûles ne te coûte pas cher ; mais il faudra le
payer en ce monde-ci ou dans l'autre ; nous nous reverrons un jour.
Le
suppliant était Jésus-Christ ; peu après passa un autre mendiant,
puis un second, enfin il s'en présenta successivement douze, qui
sollicitaient la même faveur, et comme Pierrot les repoussait, ils
s'en allaient en disant les mêmes paroles que le premier. Ces
voyageurs étaient les douze apôtres. Lorsque, après sa mort,
Pierrot arriva à la porte du Paradis, il y trouva les douze
vieillards, et l'un d'eux lui dit : « Il n'y a pas de place ici pour
toi, car on n'y admet pas les voleurs ; tu n'iras pas non plus en
enfer, car tu n'as pas assez de gros péchés pour cela ; quant au
purgatoire, n'y pense pas, tu as eu assez le temps de te chauffer
pendant ta vie. Tu mérites d'aller dans un lieu froid, où tu
porteras sur ton dos tout le bois que tu as volé, sans qu'il te soit
possible d'allumer du feu. C'est dans la lune que tu feras ta
pénitence. » Au même instant Pierrot se trouva dans la lune avec
ses fagots.
On
raconte en Haute-Bretagne que Dieu survint au moment où un homme
chargeait sur son épaule un fagot volé, et qu'il lui dit : « Ces
fagots ne sont pas à toi ; pour te punir, je devrais te faire mourir
; mais je te donne le choix d'aller, après la mort, dans le soleil
ou dans la lune.
— J'aime
mieux aller dans la lune, répondit-il ; elle ne marche que de nuit,
et je ne serai pas si souvent vu.
AL
LAÈRLAN (Basse-Bretagne)
Dans
plusieurs récits de Bretagne, l'astre lui-même, adjuré par le
larron, le punit aussitôt ; l'un d'eux suppose même que le serment
par la Lune était employé en certaines circonstances, comme l'a été
celui par le Soleil. Un seigneur qui revenait de la chasse le soir,
rencontrant un de ses voisins assez mal famé, qui portait sur son
dos plusieurs fagots d'ajoncs secs, l'accusa de les avoir dérobés
sur sa lande. « Faites excuse, répondit le paysan, cet ajonc ne
vous appartient pas.
— Jure-le
par la Lune que voilà.
— Que
la Lune m'engloutisse, si je l'ai pris sur vos terres !
Comme
il mentait, la Lune l'engloutit, et les pères montrent à leurs
enfants al
laèrlan,
le voleur de landes.
Dans
une version modernisée du sud du Finistère, un homme chargé
d'ajoncs coupés sur une lande communale est conduit devant le maire,
qui lui reproche sa mauvaise action : le coupable nie, personne ne
l'ayant vu à l'œuvre, et il s'écrie : « Que la Lune m'avale, si
j'ai volé cette lande ! » Aussitôt la Lune descendit du ciel et
l'engloutit. On raconte en Haute-Bretagne plusieurs légendes
apparentées : un homme qui volait des fagots la nuit, fut accusé
par leur propriétaire de les avoir pris dans son tas. « Que la Lune
m'enlève, répondit le voleur, si ces fagots sont à vous I » A
peine avait-il dit ces mots qu'il fut emporté dans la lune avec sa
charge, qu'il doit porter jusqu'au jugement dernier. Un petit garçon
qui a dérobé les œufs d'une bonne femme, ayant proféré les mêmes
paroles, est transporté dans l'astre des nuits, comme le paysan,
qui, accusé par ses camarades d'avoir volé un fagot quêté pour le
feu de la Saint-Jean, a l'imprudence de s'écrier: « Si je l'ai
pris, je veux que la Lune me supe ' (m'avale) ! »
ANONYME
(Basse-Normandie)
En
Basse-Normandie l'homme de la lune est le mauvais riche.
Dans
le Perche cette leçon se présente sous sa forme la plus simple :
l'homme au fagot est le premier voleur qu'il y ait eu sur la terre,
et Dieu l'a placé dans la lune pour le châtier.
En
Basse-Normandie, un paysan était à la fois impie et voleur ; après
avoir passé la nuit du samedi au dimanche à dévaster les haies
voisines pour étouper la sienne, sans arriver à empêcher la lune
d'y pénétrer par les interstices, il jeta sa serpe de dépit, quand
sonna l'Angelus, et il s'en revenait, cheminant péniblement sous un
gros fagot d'épines, lorsqu'il rencontra des gens qui lui crièrent
: « Bonhomme, vous venez donc encore de nous voler du bois ! »
— Par
ma fè, répondit-il, que je puisse être dans la lune, si vous ne
mentez !
Il
n'avait pas achevé que déjà il y était.
Dans
une autre série de récits, l'homme de la lune, qui est aussi
habituellement un voleur, s'est servi de son fagot pour essayer de se
débarrasser de la lumière importune de cet astre. Le larron de la
légende normande, ennuyé de voir dame Lune se promener dans son
clos, avait d'abord tenté de boucher, en dévastant les haies
voisines, les ouvertures de la haie par où ses rayons pénétraient.
JEAN
DES CHOUX ou JEAN DE LA LUNE (Lorraine)
En
Lorraine, elle punit un vol, et, semble-t-il, un acte d'irrévérence
analogue à ceux qui, ainsi qu'on le verra plus loin, excitent son
courroux. Jean des Choux, ou Jean de la Lune, passait son temps à
voler les choux de ses voisins ; un jour que la Lune brillait en son
plein, il eut peur de son regard menaçant, et comme sa brouette
chargée de choux grinçait, il crut que c'était ce bruit qui
éveillait l'attention de l'astre; il essaya de la graisser eu
urinant sur le moyeu; mais la Lune le regardait toujours et finit par
le faire monter jusqu'à elle. C'est lui que l'on voit roulant
éternellement sa brouette sur le disque lunaire.
JOSSA
/ JUDAS (Champagne-Ardenne, Franche-Comté)
Deux
légendes des Vosges racontent que des personnages parviennent à
grimper jusqu'à la lune elle-même : un voleur du nom de Jossa, gêné
dans ses expéditions par la lumière de la lune, jura de l'éteindre
avec un fagot, mais arrivé à la lune, il y fut aussitôt collé.
Judas Iscariote, fatigué de la voir le regarder sans cesse, s'écria
: « Œil ouvert sur moi, je te crèverai, et avec un fagot je
boucherai le trou sanglant que je te ferai ! » Il monta bien jusqu'à
la lune, mais quand vint le moment d'exécuter sa menace, il se
sentit retenu et comme cloué au sol par une main invisible. Il est
resté depuis lors à la même place, exposé en punition de son
crime, à la face du monde entier.
Judas
figure dans d'autres traditions, surtout répandues dans l'est. On
dit dans l'Aube : «Vois-lu Judas dans lai lunne, d'aiveu son fagot
d'épingne » ; en Morvan, c'est Judas avec son panier plein de
choux, ce qui suppose qu'on l'accuse de vol. D'autres légendes se
rattachent plus étroitement à l'acte qui lui a valu une fâcheuse
renommée. A Sainl-Pol (Pas-de-Calais) on montre aux enfants Judas
Iscariote pendu par ses cheveux ou par ses pieds à un sureau ''.
Dans la Marne, on leur dit aussi qu'après son forfait, il est allé
se pendre dans la lune aux branches de ce même arbre. En
Franche-Comté, on raconte qu'il a été relégué dans l'astre des
nuits à cause de sa trahison : après sa mort, on agita en conseil
divin ce que l'on pourrait faire de ce misérable, qu'on ne pouvait
vraiment confondre avec les autres coupables : « Où que vous me
mettiez, avait-il osé dire, je n'y serai pas seul.
— Tu
seras mis en la lune, lui répliqua Dieu, où lu seras seul, car
personne autre jamais n'y fut, n'y est et n'y sera.
La
légende ajoute que Judas y a la tête prise entre deux fagots
d'épines, et l'on dit de quelqu'un qui se trouve dans une situation
embarrassante : « Il est comme Judas sur des épines ». Quand la figure semble les regarder, les enfants lui adressent cette
formulette injurieuse :
Voilai
la lenne,
Due
lai proumène,
Voilai
Judas
Merde
pour son nâ.
Si
un enfant de la même région crache à la figure d'un autre, on lui
crie : « Judas dans la lune ! »
ANONYME
(Bourgogne)
Un
récit du Bourbonnais présente, en même temps que des affinités
avec ceux qui précèdent, des circonstances particulières : une
pauvre femme ayant lessivé le jour de Pâques, et l'un de ses
voisins ayant bouché sa clôture avec des épines le jour de Noël,
le bon Dieu n'en fut pas content ; il les appela pour les condamner,
et leur dit : « Tous les deux vous ferez votre travail, toi, la
femme, dans la Lune, et toi, l'homme, dans le soleil. »Un jour
de bataille entre la lune et le Soleil, la femme ne pouvant plus
supporter le froid qu'il y avait dans la lune, changea de place avec
l'homme, qui se plaignait d'avoir trop chaud dans le soleil.
Mécontents tous les deux, ils tentèrent une seconde fois d'échanger
leurs places ; mais Dieu ne voulut pas le leur permettre.
En
Bourbonnais, un bûcheron a coupé du bois le jour de Noël.
BASIN
la Lune (Dauphiné)
Quelquefois,
la Lune fait acte de justicier sans avoir été prise à témoin. Un
barbier du Dauphiné, nommé Bazin, comme le voleur des légendes
wallonnes, ayant voulu dérober sur le haut de la montagne du bois
destiné au feu de la Saint-Jean, fut avalé par la Lune qui habite
au sommets.
BERNAI
le Sot (Languedoc) MATIÈU, LE COUPEUR DE BOIS (Provence)
En
Languedoc, on voit sur le disque Bernai « que lou dimanche
travailhat ».
Belgique
BOZAR
/ BAZIN / (environs de Liège, Ardennes, Wallonie) – PHARAON
(Hainaut) - BRUNO (Namur)
Un
paysan, appelé Bozar, avait coutume de couper du bois pendant les
offices ; un dimanche un vieillard vénérable se présenta à lui en
disant : « Il y a six jours destinés au travail, le septième est
fait pour se reposer et prier Dieu.» Bozar n'ayant pas obéi à
cette remontrance, le vieillard, qui était le bon Dieu, lui dit : «
Pour ta punition, je vais créer la lune et t'y enfermer à
perpétuité avec le fagot que tu confectionnes en ce moment ».
Suivant
un récit wallon, Bazin qui allait à la maraude, la nuit, dans le
champ de son voisin, fut surpris par celui-ci ; mais il l'effraya en
disant : « Je suis sorti de mon tombeau, et je viens, au nom du Dieu
vivant, enlever les petits et les grands ! » L'autre s'enfuit, mais
le voleur n'échappa pas à la vengeance divine et il est condamné à
rester dans la lune avec son fagot; c'est lui dont on voit la figure
aux traits convulsés, qui regarde mélancoliquement la terre et l'on
dit à Liège de quelqu'un justement puni :
C'est
comme Bazin dans la Beauté (la lune)
Il a ce qu'il a mérité.
Suivant
une conception qui semble surtout répandue dans le pays wallon, la
Lune agit de son propre chef pour se venger d'une insulte ou d'un
mensonge commis sous son invocation, ainsi que le fait remarquer M.
0. Colson, qui a recueilli des versions conformes à cette idée :
Bazin, qui était un voleur émérite, voulut, par une nuit sombre,
dérober du foin chez un fermier en entrant par la fenêtre du toit.
Au moment où il allait se retirer, muni d'une botte très grosse, la
lune vint à briller, et un rayon le frappa en pleine face : le
fermier le reconnut et cria son nom dans la nuit. Bazin, furieux
d'être découvert, envoya la Lune « aux six cent mille diables qui
l'emportent ! » celle-ci, pour se venger, retira son rayon et enleva
Bazin que l'on voit là-haut avec sa botte de foin.
On
raconte dans les Ardennes belges que, le jour de la fête patronale,
une jeune fileuse, passionnée pour la danse, avait promis à sa mère
de rentrer à la maison avant minuit, et dit en montrant la Lune : «
Je vous obéirai, aussi vrai que la Lune nous éclaire ! » Elle
laissa passer l'heure, et chacun s'en retourna chez soi, en se
séparant sur la grande place près de l'église. Sa mère, éveillée
par le bruit, s'y rend et ne rencontre pas sa fille ; mais la porte
du cimetière était ouverte, il lui semble l'entendre, et elle lui
dit : « Marie, la Lune t’éclaire et je te vois ! — Au diable
soit la Lune ! » s'écria la jeune fille. Ces paroles n'étaient pas
sitôt sorties de sa bouche qu'elle était dans la Lune. C'est elle
qu'on voit là-haut, filant sans relâche les fils de la Vierge.
En
Hainaut, un homme appelé Pharaon, allait par une nuit sombre,
dérober les navets de son voisin quand il fut dérangé par un clair
de lune subit ; craignant d'être aperçu, il saisit avec sa fourche
un fagot d'épines et il s'apprêtait à en boucher la lune lorsque
Dieu, pour le punir, l'attira dans l'astre.
A
lire également : Légendes et contes du pays de Charleroi,
Châtelet : Bruno dans la lune
CAÏN
(Luxembourg Belge)
Dans
le Luxembourg belge, la lune représente le visage de Caïn qui,
honteux de son crime, craint de se montrer à la lumière.
Quelquefois il se blottit derrière un buisson ; mais il se cache
assez maladroitement, car on distingue très bien ses oreilles, ses
yeux, son nez et sa bouche. Les parties qu'il ne parvient pas à
dérober à la vue sont les taches de la lune. Suivant une autre
version, il est condamné, en punition de son fratricide, à pousser
devant lui une brouette jusqu'à la fin du monde, comme le voleur
lorrain ; à Laroche, province de Liège, ce personnage s'appelle
aussi Caïn, sans récit explicatif ; dans la Marne, son supplice
consiste à traîner éternellement un fagot sur son dos.