Au chapitre 16 de ses
Aventures, le Baron de Munchausen fait état d'un second voyage dans
la lune, effectué "d'une façon beaucoup plus agréable"
et cette fois, d'une durée suffisamment longue pour en tirer
"diverses observations"... Mais d'abord, concernant le
motif de son expédition, il explique qu'un de ses parents s'est
persuadé qu'il devait y avoir quelque part "un peuple égal en
grandeur à celui que Gulliver prétend avoir trouvé dans le royaume
de Brobdingnag". Notre vaillant Baron accepte d'accompagner ce
parent (dont il nous apprend qu'il est le légataire) à la recherche
de ce peuple, malgré sa totale incrédulité au sujet de l'existence
de celui-ci.
En première étape, ils
prennent la direction de la mer du sud, où un ouragan enlève leur
bateau dans les cieux "à près de mille lieues", le
maintenant ainsi pendant longtemps, avant que le vent ne gonfle les
voiles et emporte les voyageurs au-delà... jusqu'à la lune, bien
entendu.
Ils accostent donc cette
"vaste terre, ronde et brillante, semblable à une île
étincelante", en entrant dans un "excellent port". Le
pays est habité, on y voit des villes, et la nature - arbres
montagnes, fleuves, lacs - est tellement semblable à celle de la
Terre qu'ils pensent être revenus sur la planète qu'ils ont
quittée.
Ils voient sur la Lune de
"grands êtres montés sur des vautours, dont chacun avait trois
têtes". Ces oiseaux sont de très grande envergure ; tout
d'ailleurs dans ce monde est extraordinairement grand : pour exemple,
la taille d'une mouche lunaire équivaut à peu près à celle d'un
mouton terrestre. A la période, le roi de la Lune est en guerre avec
le Soleil (un scénario anciennement exploité par Lucien de
Samosate).
Les armes des guerriers lunaires ont des armes-légumes : des raiforts leur servent de javelots ou, selon la saison, des tiges d'asperges ; pour boucliers, de vastes champignons...
Ils croisent aussi des
êtres extralunaires : des gens d'affaire, venus de Sirius, qui ont
"des têtes de bouledogue et les yeux placés au bout du nez"
et quand ils veulent dormir, ils se "couvrent les yeux avec la
langue" (on présume qu'ils sont privés de paupières). Les
particularités physiologiques de ces Siriens étonnent beaucoup nos
voyageurs. Ainsi, pour s'alimenter, ils possèdent "sur le côté
gauche un petit guichet" qui leur permet d'introduire
directement la nourriture dans leur estomac ; ils réitèrent cette
opération de mois en mois et jour pour jour.
Le Baron nous apprend que
les "joies de l'amour sont complètement inconnues dans la
Lune", pour la simple raison qu'il n'existe qu'un seul et même
sexe. La reproduction est ainsi faite : "tout pousse sur des
arbres, qui différent à l'infini les uns des autres, suivant les
fruits qu'ils portent" et pour ceux de la reproduction
"humaine", ils sont plus beaux et grands que les autres,
avec "des feuilles couleur chair ; leur fruit consiste en noix à
écorce très dure" et lorsque ces noix sont à maturation, on
les cueille et on les conserve "aussi longtemps qu'on le juge
convenable. Quand on veut retirer le noyau, on les jette dans une
grande chaudière d'eau bouillante ; au bout de quelques heures,
l'écorce tombe, et il en sort une créature vivante."
Ces créatures sont
pré-déterminées : "d'une écorce sort un soldat" ou un
philosophe, théologien, jurisconsulte, fermier... Et chacun, sans
attendre, s'applique à sa tâche. Le Baron nous dit que la grande
difficulté réside justement dans cette fonction prédéfinie mais
impossible à prévoir.
Les gens de la Lune
"n'éprouvent pas le besoin de boire, n'étant asservis à
aucune excrétion. Ils n'ont à chaque main qu'un seul doigt avec
lequel ils accomplissent toutes les tâches avec beaucoup d'adresse.
Lorsque les créatures de cette planète deviennent vieux (car ils
vieillissent), ils ne meurent pas mais se "dissolvent dans l'air
et s'évanouissent en fumée."
Ils portent leur tête sous le bras
droit et ont même la possibilité, en cas de grand mouvement, de la
laisser "à la maison" sans rompre la communication. Les
plus hauts fonctionnaires, chargés de la surveillance du peuple,
envoient leur tête en reconnaissance et la rappellent à eux selon
leur convenance.
Une autre particularité physiques des
habitant de la lune, des plus pratiques, est de se servir de leur
ventre comme des gibecières : "ils y fourrent tout ce dont ils
ont besoin, l'ouvrent et le ferment à volonté", cet
emplacement du corps étant vide d'entrailles, de cœur et de foie.
Enfin, d'après les observations du
Baron, dont il est inutile de louer l'objectivité, "on
rencontre dans la lune, à chaque coin de rue, des gens qui vendent
des yeux ; ils en ont les assortiments les plus variés, car la mode
change souvent : tantôt ce sont les yeux bleus, tantôt les yeux
noirs, qui sont mieux portés."
Nous ne sommes pas sans savoir quelle
difficulté a connu le Baron pour accréditer cet ensemble
d'observations. Lui-même, saisi par l'étrangeté de ce monde
lunaire, a invité "ceux qui douteraient de sa sincérité de se
rendre eux-mêmes dans la lune, pour se convaincre qu'il est resté
plus fidèle à la vérité qu'aucun autre voyageur."