Mot
moteur, mot mental, mot menteur,
moment
moteur, moment tel
qu'en
cet instant si tu t'installes en ton essence
tu
te meus, tu t'émeus et tu mens
selon
le mot émis par moi.
Je
dis mentir, c'est l'acte mental. Mentaler serait barbare. Et c'est
bien dit. La vérité ne se meut pas, ne s'émeut pas, ne se ment
pas. Elle n'est pas dans l'espace.
Parler
vraiment, c'est mentir exprès, pour suggérer la vérité. Si je te
dis : le chien est carnivore, c'est mentir, car il n'y a pas le
chien, mais des chiens ; mais ce mensonge te suggère le concept
viande ; c'est donc qu'il rentre dans cet autre concept, mangeur
de viande. Mais qu'est-ce que manger de la viande en général ?
Ça ne nourrit pas. À force de te mentir, à la fin peut-être tu
n'y tiendras plus et tu formeras une idée, tu formuleras une loi.
C'est là que le poète veut en venir.
« Marche !
Halte ! » ce sont des mots moteurs. Leur contradiction
engendre l'ahurissement, l'irrésolution ou, si tu y penses, l'idée
de marche.
On
m'a raconté l'histoire, orientale comme toutes ces histoires-là, du
crocodile qui, installé à un gué, dévorait les passants ; il
avait réellement entendu les bipèdes parler de vérité, et de ce
qui est vrai, et de ce qui n'est pas vrai, qu'il commença à
s'interroger dans sa cervelle plate, qu'est-ce que c'était que ça ?
Il finit par se dire : eh bien, j'interrogerai le prochain qui
passera. Une femme passe, et il lui dit : « Si tu me dis
la vérité, je ne te dévorerai pas. » Et elle : « La
vérité, c'est que tu vas me dévorer. » Alors quoi ? Le
malheureux grande-gueule n'a jamais pu sortir de là. Si l'on nous
disait la vérité, nous resterions comme lui, bouche bée, incapable
d'en faire usage.
Suggestions
pour un métier poétique (in Les pouvoir de la parole, Essais et
Notes II)
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