Ce
livre-objet rassemble 20 lettres adressées par voie postale à une
personne répondant au nom "totémisé" de Titta
Caouanne et dont le contenu se rapporte à un mot composé, du A de
Abaisse-langue au V de Vif-argent. Outre la forme imposée de
l'abécédaire, cette contrainte vise à
mettre
en valeur cette catégorie de mots relativement délaissée et
pourtant forte d'expression, assez efficace en tout cas pour venir en
aide à un lexique parfois déficient ou faire l'économie d'une
périphrase (à noter la fonction pratique de composés tels que
marche-pied,
essuie-main,
repose-tête...)
La plus grande qualité de ce type de formation est d’avoir le sens
du raccourci, l'esprit de synthèse, en se faisant charge d'aucune
surcharge, ainsi de lance-flammes,
d'allume-feu...
Un verbe accolé à un adjectif et voilà un sujet rapidement croqué
(combien de mots faudrait-il pour décrire un trotte-menu
?) Passer ainsi en revue les mots composés de la langue française
fut d’abord un régal de vocabulaire et s’il apparaît çà et là
des manques, les entrées du dictionnaire offrent néanmoins un fonds
d'options savoureuses. Nous avons, il est vrai, beaucoup emprunté à
l'anglais qui en regorge et oublié de produire de nouvelles
formations, mais personne ne contestera le fait que notre rendez-vous
s'exporte
toujours bien.
"Humoraliste"
autodéclaré, je me suis surtout appliqué dans cette série à
composer des portraits qui illustrent les mœurs de notre bonne
vieille société, en m'intéressant pour le reste à quelques faits
et objets, mais tout au long et à tous niveaux c’est bien des
états du langage dont il est évidemment question. Enfin, disons que
la meilleure marque de vitalité des composés tient en peu d'espace
et s'ouvre à plus large considération : elle se signale par la
présence d'un lien discret qui résume et la lettre et l’esprit et
le cœur même de cette entreprise, sous l'appellation de trait
d’union –
système d'assemblage favorisant l'échange, né de l’indispensable
relation.
Si
ce n’est d'assurer un véritable dialogue, la correspondance par
lettres fonde
un genre de "conversation". Hors de toute présence
physique, ce mode conversationnel, puisqu'il faut l'appeler ainsi,
n'est pas complètement détaché de l'oralité, dans la mesure où
il en maintient certains traits de caractère.
Par
le choix des mots et de leur ajustement, ce mode occupe un espace qui
peut tenir
lieu
de parole,
sans appartenir totalement à l'écrit. Du reste, dans son premier
sens,
la conversation est ni plus ni moins un moyen de "fréquentation",
une façon de se tourner vers quelqu'un pour un échange de propos.
Plus
qu'un outil de communication, dont on ne manque pas aujourd'hui, la
correspondance est un moyen d'expression qui, dans sa forme écrite
traditionnelle, se trouve en net déclin, quasiment en voie
de disparition (cette rareté lui confère une valeur précieuse,
d'autant plus perceptible que le courrier postal devient onéreux).
C'est justement cet état d'abandon, cette obsolescence comme diront
certains, qui m'a conduit à raviver ce mode de relation établie sur
un double rapport de tons, réglant la balance entre distance et
proximité, réserve et familiarité.
Discussion
serait peut-être un mot plus approprié si ce qui sert
de matière à conversation, passant donc de la correspondance intime
à l'espace plus ouvert de la publication, ne devait être tout de
même quelque peu "élargi" et aiguisé pour cette nouvelle
destination. Mais qu'il s'agisse là de ce qu'on appelle littérature,
au sens commun de grandeur
littéraire,
je n'en suis pas vraiment sûr. Un genre prosaïque, très
certainement ; une forme intermédiaire entre la parole et l'écrit
qui ne commande pas trop d'élévation et ne s'encombre pas non plus
des apprêts du discours oratoire, mais requiert en priorité un
style vif, tirant au maximum profit des traits d'esprit et de la
couleur des mots. Plutôt qu'une étude approfondie du système et
des effets des mots composés, dont je
ne
me sens nul besoin d'autorité, le lecteur trouvera ici le résultat
d'une observation la plus fine possible, exercée rapidement selon
mon humeur : j'y expose un point de vue sans pour autant professer
d'opinion.
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