Retour sur image. Votre lièvre précieux suit ses lunes
gibbeuses et acidulées : faisant le tri sélectif de son courriel quotidien,
il a promis de faire figurer ici, en réponse à l’envoi de l'image pieuse ci-jointe,
l’expression ravissante de son amie Lynda du "lapin-délice d’Alice qui
part en sucettes", expression qui aurait sans doute amusé le
Roland furieux répondant au nom de Topor, artiste multi-cartes, auteur de
textes incongrus et d’images pas sages. Furieux, non dans le sens colérique du
personnage légendaire de l’Arioste, mais pour qualifier une activité artistique
débridée, hétéroclite, à l’effet panique
(du mouvement "anti-mouvement" du même nom, en référence au dieu
Pan, qu’il créa en compagnie d’autres individus sérieux-non-sérieux comme Fernando
Arrabal et Alexandro Jodorowsky en 1962). Topor avait une faim peu commune (et
mille poires pour sa soif), pourvu d’un rire hénaurme, assumant
joyeusement ses excès de fables et défauts de correction ; il fut l’un de
ces "ogredins" polymorphe à l’humour rose et noir agrémenté de
nombreuses épices, mêlant son grain de folie à quantité de sauces, puisqu’il
fut tour à tour (et simultanément) peintre, illustrateur, dessinateur, écrivain,
poète, metteur en scène, chansonnier, acteur, cinéaste… Un éclectisme toujours
suspect aux yeux des puristes, qui bien souvent accusent ce genre de touche-à-tout de dilettantisme. Roland
Topor se moquait bien de cet aspect frigoliste, se moquant d’abord de lui-même,
endossant volontiers le rôle du moqueur moqué. Son rire hénaurme et son esprit prompt à la déconnade laissent parfois percer des accents graves de clown triste, voire
cafardeux.
Issu d’une famille juive polonaise ayant fui l’occupant nazi
(Abram Topor, le père, était lui-même artiste peintre avant de devenir
maroquinier pour nourrir sa famille), le fils Roland naît en 1938. Il étudie aux
Beaux-arts de Paris, commence à publier ses dessins en 1960 puis romans et
nouvelles à partir de 1964. Son premier livre, Le locataire chimérique (récemment réédité chez Phébus), sera magistralement adapté
au cinéma en 1976 par Roman Polanski (qui joue le rôle du personnage principal).
Dans les années 70, Topor s’intéresse au cinéma d’animation et travaille avec René
Laloux sur plusieurs courts métrages puis sur La planète sauvage, long métrage qui reçut le Prix spécial du jury à
Cannes en 1973. Il collabore également au Casanova de
Fellini, réalisant les images projetées pendant la séquence de la "lanterne magique".
Avec le réalisateur belge Henri Xhonneux, il travaille sur
la série pour enfants Téléchat en
1983 (234 épisodes seront tournés) puis avec le même réalisateur, pour le
bicentenaire de la Révolution, ce sera un film-hommage à Sade, Marquis en 1988 (avec des acteurs en
masques, aux figures animales), froidement accueilli à sa sortie, mais devenu
depuis un objet de culte. Film audacieux, singulier, servi par une grande
qualité esthétique, qui fait dialoguer le marquis de Sade avec son sexe appelé
Colin…
Roland Topor affronte tous les genres, alternant œuvres
personnelles et collectives ; à la télévision, avec la complicité notable
de Jean-Michel Ribes pour la série à sketches Palace en 1988 ; au théâtre, pour des pièces que lui-même
écrit (L’hiver sous la table, créée
en septembre 1994 au Nationaltheater de Mannheim, en Allemagne), qu’il dirige
(adaptation de Ubu roi pour le
Théâtre national de Chaillot en 1992) et bien d’autres spectacles auxquels il
contribue.
On lui doit également une remarquable illustration de Pinocchio, pour deux éditions, italienne et allemande. L’album a été
réédité par Autrement en 2008.
Roland Topor meurt en 1997 d’un accident cardio-vasculaire.
Il est enterré au cimetière du Montparnasse, quatorzième division. Il fut nommé à titre posthume "satrape" du Collège de ‘Pataphysique.
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