Après 33 ans, le chaudron du groupe Univers Zéro n’en a pas fini de
bouillir, malgré une période de refroidissement de 13 années, entre 1986 et
1999. Formation belge d’origine contrôlée, fondée par Daniel Denis et Claude Deron,
Univers Zéro sort son premier album
éponyme, entièrement autoproduit, en 1977 (rebaptisé 1313 depuis). L’album Clivages,
sorti tout chaud des fourneaux en 2010, est leur opus 13.
13 est assurément leur chiffre. Et on ne serait pas étonné
que leur jour de prédilection soit le vendredi (votre lièvre précieux constate par ailleurs que ce message est posté un 13 septembre et que le magazine Atem, paru en 1978 avec la photo du groupe en couverture, est le N°13).
Qu’y a-t-il donc dans la marmite d’Univers Zéro ? Une
curieuse mixité et diversité d’ingrédients. La musique de UZ surprend, comme
beaucoup d’autres nées de cette époque, par un déplacement des
genres : nourrie par un certain "modernisme classique" hérité
de Stravinsky et Bartok, entre autres, et de multiples influences hétérogènes (dont certaines
références pionnières du rock dit "progressif" :
Soft Machine, Gong, ainsi que d’autres tendances contemporaines innovantes : Can,
Heldon, King Crimson, Magma, Zappa, The Residents, auxquelles il convient d’ajouter des
emprunts à l’electric jazz, mais aussi aux musiques traditionnelles de l'Europe…) Le groupe impose
rapidement l’empreinte originale d’un mélange qui apparaît lourd et néanmoins subtil. Contributeur de Rock in opposition, mouvement de "dissidence" formé par Fred Frith et Chris Cutler de Henry Cow, avec le support d’autres
groupes comme Etron Fou Leloublan, Stormy Six, Art Zoyd, Samla Mammas Manna,
Art Bears…), Univers zéro
entretient à ses débuts une image trouble, inquiétante : ses membres
apparaissent vêtus sobrement et sombrement. Nul sourire n’affleure : tous
munis de lunettes noires, ils posent dans un décor de désolation post-industrielle. Mais il faut
gratter un peu pour découvrir derrière l’aspect funèbre un humour qui doit sa
couleur noire dominante à une forme assez caractéristique de Belgique, misant
sur la surcharge (une fantaisie pivotante, à 360 degrés, qui se reconnaît dans d'autres arts, comme dans le théâtre baroque de Ghelderode). Certains titres laissent entendre cette
qualité-là, qui est plus un jeu d’apparences que l’expression d’une vraie
désespérance.
Mixité sonore, donc, avec l’utilisation progressive puis dominante
– due en grande part à Michel Berckmans - d’instruments acoustiques rarement utilisés
dans le milieu rock dont Univers zéro fait partie (même si en opposition) :
hautbois, basson, cor, clarinette, harmonium, clavecin, violon et violoncelle
en y joignant des instruments rock "classique" (basse, guitare
électriques). Mais c’est surtout l’apport personnel de Daniel Denis (batterie, percussions)
qui retient : la forte présence du rythme (jamais martelé, toujours fantasque, inventif) apporte une énergie nouvelle et inaccoutumée à ce type de
formation (que certains qualifièrent de chamber
rock), une tension dramatique qui s’écarte à la fois des codes
étriqués du rock et des conventions de la musique classique et qui en propose dans le même temps une formule fusionnelle de haute densité. Les compositions, surtout parmi les
plus anciennes, contreviennent à
l’habituel format pop-rock, tant en durée qu’en structure : elles instaurent un climat autour de thèmes obsédants, entrecoupés
de ruptures, bifurcations... Bien que complexe, on a la sensation, à l’écoute
de cette musique, assurément complexe dans son organisation, d’assister en
direct à son propre développement.
En 1986, Univers Zero semble avoir fini sa route. Daniel
Denis suit alors la sienne (avec deux productions en son propre nom) et rejoint
le groupe Art Zoyd qu’il va accompagner pendant 7 ans.
Et puis, en 1997, Univers Zero se reforme temporairement, avec son fondateur Daniel Denis, Andy Kirk et Guy Segers (présent dès
1979). Enfin, c’est le retour de Michel Berckmans, qui marque la renaissance d’un groupe
permanent.
De toutes les productions, il est difficile de faire la part entre
l’ancien et le nouveau, même si la forme musicale a bien sûr évolué en fonction
des changements de personnel. Cependant, mon conseil serait d’aller à la fois
vers l’un et vers l’autre, par convergence : le troisième album Ceux du dehors (1981) semble une bonne porte d’entrée et on peut
aussi s’intéresser au nouveau CD Clivages. Prudence, toutefois : si Hérésie (1979) a bénéficié d’une récente
réédition, ce n’est pas le cas d'autres disques, dont Uzed et Heatwave, qui commencent à se raréfier...
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