La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

lundi 10 janvier 2011

La lune : voyages et spéculations VII [1883-1896]

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Alex de Lamothe (?)
Quinze mois dans la lune, 1883
"Si les voyageurs vont bien dans la Lune, c'est pour parler de la Terre. Pour y aller, pas de problème : le canon de Jules Verne est toujours là, il ne reste plus qu'à fondre un obus ! Et l'expérience s'améliorant avec les lancements successifs, contrairement aux héros de Verne, ceux de Lamothe atteignent directement la Lune. A la fin du roman, d'ailleurs, ils fondent un canon qui les renvoie sur Terre. Entre temps, durant ces quinze mois, ils visitent la Lune qui est un monde équivalent à la Terre, mais en avance d'un siècle. Ainsi, étant parti en 1889, se retrouvent-ils en 1989. Et le monde décrit est celui de la Terre, surtout de l'Europe, après la victoire allemande de 1870. L'auteur, monarchiste, donc anti-républicain (au sens qu'on donnait à ce mot en fin du XIXe siècle), clérical, voit une Allemagne future ressemblant à une gigantesque caserne, et une France complètement gangrenée par les jeux du pouvoir. Seuls Dieu et le Roi peuvent redresser le pays."

Merci à Lunarjojo et aux explorateurs du Forum de la conquête spatiale pour cette référence que je ne possède pas,  relative à un auteur qualifié par Fabula, site de recherche en littérature, "d’écrivain sans réelle originalité"…

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Alphonse Karr (1808-1890)
Second voyage dans la lune (La soupe au caillou), 1884
L’auteur nous raconte un rêve qui reprend les conditions du voyage d’Astolphe dans la lune du "Roland furieux" poème épique de l’Arioste. Ce voyage de "folie" sert de prétexte à une satire politique (charge anti-républicaine dirigée contre Gambetta, Grévy). C’est donc sur un hippogriffe du XVIe siècle que notre auteur s’envole, n’allant sur la lune que pour "trouver là-haut quelque recette pour sauver la France et lui rendre son bon sens". Néanmoins, au-delà du genre parodique, l’auteur exprime sa confiance dans les progrès de la science :
 
Il serait agréable, me dis-je, à sept heures du soir, de faire un pareil voyage (dans la lune) ; et, cette idée me poursuivant comme un fil tenu au travers de mes autres pensées, je me dis à dix heures : peut-être un jour la science rendra ce voyage possible, et je me dis à onze heures : c’est même probable ; et c’est tout à fait certain, dis-je à onze heures et demie en me couchant.

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Timothy Harley ( ?)
Moon lore, 1885
Cet ouvrage réunit un ensemble de traditions relatives à la lune : mythes, folklore, superstitions et légendes provenant de tous pays. En principe, il n’a pas lieu de faire partie de cette anthologie des récits de voyages lunaires, si ce n’est que son exclusion porterait la marque d’une double injustice. En effet, tant par la qualité de ton qui lui est propre (et proprement anglaise, me permets-je d’ajouter) que par sa riche documentation, ce livre mérite bien des attentions. Et puis – cela devient un triple motif – étant donné que mon anthologie comporte quelques autres ouvrages théoriques ou de considérations (Bernard de Fontenelle, Camille Flammarion, par exemple), il serait regrettable d’en faire omission, d’autant que la consultation de cet ouvrage aura permis de compléter mes connaissances et de repérer au moins une référence bibliographique datant de 1591, qui n’apparaît dans aucune anthologie de ce type : Endymion, œuvre théâtrale de John Lily (qui fut un contemporain de Shakespeare).

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André Laurie, pseudonyme de Paschal Grousset (1844-1909)
Les exilés de la terre, 1887
Né en Corse, Jean-François Paschal Grousset débute dans le journalisme en 1860, dirige entre 1867 et 1869 un Institut libre à Paris, qui est un cours d'enseignement supérieur destiné aux dames et aux jeunes filles (il y donne des leçons de physiologie et de physique). Il débute ensuite une carrière d'homme de lettres avec un premier roman, puis publie la même année cinq ouvrages historiques. Antibonapartiste virulent, à la proclamation de la Commune de Paris, il est élu dans le 18° arrondissement et nommé délégué aux Relations extérieures (Ministre des Affaires Étrangères). Jugé par le conseil de guerre, il est condamné en septembre 1871 à la déportation en Nouvelle Calédonie. Il s'évade en compagnie de cinq autres compagnons, et débarque en Australie le 27 mars 1874. Via les états-unis, il gagne l'Angleterre et rejoint la proscription à Londres, où il restera jusqu'à l'amnistie du 11 juillet 1880.

Observateur attentif de la vie anglaise, il publie des correspondances et des romans qui exerceront une influence considérable auprès de l'opinion publique de notre pays en lui faisant découvrir un système d'éducation différent du nôtre. À son retour en France, il mène une grande campagne d'information et de sensibilisation en faveur des jeux de plein air, de la gymnastique naturelle et de l'hygiène corporelle. Homme d'action, il crée le 14 octobre 1888 la Ligue Nationale de l'Éducation Physique.

Écrivain polygraphe (une caractéristique de l’époque), son œuvre littéraire abondante touche tous les genres, dont celui de la science-fiction. Ce qui nous intéresse plus spécialement, c’est le fait que Grousset, durant sa période anglaise, fut associé à Verne pour quelques-uns de ses livres, dont il fournit la première matière (l’éditeur Hetzel en proposant à Verne la réécriture). Ainsi de "L'héritage de Langevol", qui deviendra les "Cinq cent millions de la Begum" et "Le Diamant bleu", publié sous le titre de "L'étoile du sud". "L'Épave du Cynthia", paru en 1885, sera le seul ouvrage signé conjointement par Jules Verne et André Laurie.

Les exilés de la terre n’étant pas à ma disposition, j’emprunte ces quelques mots d’information aux archivistes du Forum de la conquête spatiale, que je remercie une nouvelle fois :
"Des escrocs rapprochent la Lune avec un aimant pour exploiter les trésors lunaires - L’aimant est attiré par la Lune. Les escrocs aussi..."

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Georges Le Faure (1856-1953) et Henry de Graffigny, pseudonyme de Raoul Marquis (1863-1934)
Aventures extraordinaires d’un savant russe (première partie, la lune), 1889-1894
Roman d’aventures de littérature populaire, qui connaît alors son apogée, "Aventures extraordinaires d’un savant russe" (dont on reconnaît au passage le qualificatif vernien, très en usage) est le principal ouvrage de collaboration de ces deux écrivains polygraphes et prolifiques, par ailleurs auteurs d’une série de livres sous leur propre nom (dans le cadre de nos aventures astronomiques, citons de Georges Le Faure : "Les Robinsons lunaires", 1892 ; de Henry de Graffigny : "Les diamants de la lune", 1930).
C’est un ouvrage touffu, de genres mêlés, abondamment illustré par L. Vallet et Henriot, et composé de deux tomes. La première partie concerne un voyage sur la lune mené par deux groupes adverses (méchants-gentils), qui n’est que la première étape d’une odyssée spatiale. Pour ne nous intéresser qu’aux gentils, essayons au moins de résumer leurs péripéties : le moyen de propulsion reprend une idée déjà mentionnée, qui est celle de la force tellurique (celle du volcan Cotopaxi, dans les Andes équatoriales), associé à une poudre fulgurante, baptisée la "sélénite" par son inventeur Mickhaïl Ossipoff.

Vingt-quatre jours de travail avaient suffi (…) pour transformer la cheminée du volcan en un gigantesque canon, capable de projeter dans la cible sidérale, sur laquelle il était braqué, le formidable engin qui contenait nos voyageurs.

Une illustration détaille la conception de leur engin habité. L’envol intervient au chapitre 10, après de sombres machinations, et les voyageurs de l’espace parviennent enfin sur l’astre lunaire au chapitre 13.
Convaincus de l’inexistence d’une civilisation sélénite, ils sont contredits par l’apparition d’êtres gigantesques, mais laissons la parole aux auteurs eux-mêmes :

La tête seule était d'un volume surprenant et paraissait disproportionnée avec le reste du corps; elle se balançait à l'extrémité d'un cou long et mince, lequel reposait sur des épaules étroites et décharnées; à ces épaules s'ajustaient des bras maigres terminés par des mains larges comme des battoirs; le buste prodigieusement plat, comme s'il n'eût renfermé ni poumons ni intestins, se prolongeait par des jambes en fuseau assez comparables à des pattes d'échassiers, n'étaient les volumineux pieds plats qui s'y adaptaient, servant ainsi de bases solides à l'édifice élevé qui s'appuyait sur eux.
La face ronde et imberbe était éclairée de deux yeux proéminents dans lesquels aucune lueur ne brillait, ce qui leur donnait un regard terne et glacé; point de cils, pour ainsi dire point de sourcils; par contre une masse de cheveux qu'ils portaient uniformément, tombant en tresses sur les épaules; la bouche, largement fendue, n'était point ourlée de lèvres comme celles des habitants de la terre, mais, semblait un coup de sabre en travers du visage. La caractéristique de ces êtres étranges était leurs oreilles vastes et s'évasant comme des conques acoustiques de chaque côté de la tête.

Conduits par la troupe des indigènes, les ambassadeurs terriens découvrent la civilisation des sélénites, dont il leur faut dans un premier temps apprendre les usages, notamment celui du langage, qui rappelle les idiomes de l’Inde, grâce à une espèce de phonographe fourni par les lunariens eux-mêmes.
La civilisation sélénite est pacifique et particulièrement avancée. Elle comprend des villes, dont Maoulideck la capitale, qui compte plusieurs millions d’habitants, dispose de moyens de transport terrestre, maritime et même aérien … Le premier tome finit sur l’excursion des terriens dans l’hémisphère invisible de la lune, au cours de laquelle les auteurs s'appuient sur de nouvelles données cartographiques (les premières photographies datant de 1840, les moyens de la science offraient de la lune une vue plus précise). Deux ouvrages sérieux et bien détaillés avaient été publiés, l’un en 1872 par Richard Abraham Proctor : The moon – her motions, aspect, scenery and physical condition, l’autre en 1874 par James Nasmyth et John Carpenter : The moon – considered as a planet, a word, and a satellite.
 
 Carte lunaire, 1881, de l’Andrees Allgemeiner Handatlas

Pour finir, disons qu’il est assez surprenant, a posteriori, de constater que "Aventures d’un savant russe" est cautionné par Camille Flammarion, signataire de la préface de l’ouvrage (datée de novembre 1888), mais il est vrai, une fois encore, que les auteurs intègrent à leur épopée romanesque, au fond abracadabrante, des éléments de la recherche scientifique de leur époque. C’est ce "sérieux" qui fait dire à Flammarion, sévère porte-parole de la science dominatrice de son temps, que :

Désormais, la science, plus avancée, peut servir de base solide pour de telles compositions…/… offrir aux intelligences de tout âge des lectures incomparablement plus attachantes, plus instructives, plus séduisantes même, que ces romans alambiqués, cette littérature vide et malsaine jetée chaque jour en pâture à des esprits dévoyés, et qui ne laisse après elle ni vérité, ni lumière, ni satisfaction.

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Pierre de Sélènes ((pseudonyme de A. Bétolaud de La Drable)
Un monde inconnu, deux ans sur la lune, 1896
Si j’ai longuement développé l’ouvrage précédent, il serait vain de développer les arguments de celui-ci outre mesure : les informations de l’un, pour une bonne part, seront rendues utiles à l’autre. Comme en écho, "Un monde inconnu" porte l’héritage de Jules Verne (à qui le livre est d’ailleurs dédié), tout en s’appuyant sur les modèles établis du roman d’aventures enrichi d’illustrations (dont les éditeurs de l’époque font choux gras).
Le modèle établi par Pierre de Sélènes combine le roman d’aventures et la franche utopie. La description du monde lunaire est idyllique et celle de ses habitants (12 millions), tout aussi idéale : race unique, langue unique, affranchis du besoin de se nourrir, cette "humanité lunaire" ne connaît pas de rivalités, de divisions et leur monde est à cette image, avec des mers, cours d’eaux, îles, une tiédeur constante de la température qui garantit une merveilleuse fertilité, la présence d’animaux pacifiques ; les indigènes habitent des villes florissantes, avec voies de communication ferroviaire, locomotion électrique… Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes lunaires ! Une intrigue semble suivre, mais le livre, sans être aussi épais que celui de MM. Le Faure et de Graffigny, compte près de 500 pages… ce qui a quelque peu ruiné ma volonté ! Il suffit de se porter au dernier chapitre pour comprendre qu’après un conflit entre "voisins", des liens d’amitié ont été rétablis, assurant la paix entre les deux planètes.
Il ne m’a pas été possible d’avoir des renseignements sur l’auteur, tant par son patronyme que son pseudonyme. Avec ce livre, nous terminerons donc le siècle dix-neuvième pour passer au vingtième, autrement riche en aventures, à travers notamment ce qui allait s’appeler la "science-fiction", avatar du roman d’aventures, certes, mais qui s’en démarquera assez vite, dans sa forme et ses objectifs, fournissant même quelques œuvres considérées aujourd’hui comme des classiques de la littérature.

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