La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

vendredi 19 octobre 2012

Histoires d'une image, Nicolas Bouvier [éditions Zoé, 2001]

De 1992 à 1997, Nicolas Bouvier (1929-1998) a tenu une rubrique dans le Temps stratégique, revue paraissant à Genève, où il proposait une illustration tirée de son vaste fonds iconographique et en faisait le sujet d'une histoire. "Un jour de novembre 1997, nous dit l'éditrice, il est entré sans bruit aux éditions et m'a silencieusement tendu une liasse : c'était les vingt-huit textes parus. Il n'en écrirait plus et souhaitait qu'un livre les réunisse."

UNE LUNE PARMI TANT D'AUTRES (extrait)

 — Vous en demandez trop. Vous voulez donc la lune ? 

Chaque travailleur indépendant qui facture honnê­tement son dû connaît cette ritournelle. À laquelle il faut répondre : « Oui, la lune, et même le petit homme qu'on voit dedans. »
Un jour peut-être cette question, faite pour nous humilier et nous laisser à quia, deviendra-t-elle simple appel téléphonique par satellite, où il s'agira d'indiquer — aérolithes exigent — le cratère de votre correspondant à une téléphoniste dont la permanente remontera à son dernier congé sur terre et sera renouvelée au prochain...

Vouloir la lune ! Qui, de Pythagore à Cyrano de Bergerac, de Jules Verne à l'incorrigible Apollinaire célébrant cette compagne vaine de son cul et Armstrong dont la raison a vacillé pour avoir mis le pied dessus, n'a voulu la lune ? Cet astre qui pêche à la ligne nos marées, le sang des femmes, fait surgir champignons et fougères, et monter les abois des loups-garous. Cette lune qui paraît parfois si lourde dans le ciel qui la roule, et dont cependant l'attrac­tion tempère un peu les dures lois de Newton et nous rend — quel bienfait — un peu plus légers.

Et si cette lune, tantôt citrouille rousse, tantôt fau­cille ou rognure d'ongle, mais que nous croyons fidèle, se lassait déjouer les seconds rôles, d'être tou­jours reléguée derrière la forêt, le Taj Mahal, la che­minée d'usine ou les mâtures à peine balancées des grands voiliers à l'ancre, et quittait son orbite pour aller chercher fortune ailleurs, vers une planète sans perspective qui lui permette l'avant-scène au moins une fois par révolution ?

Alors quel vide dans ce ciel sans luminaire, quel deuil dans notre firmament mental : la moitié de nos religions et de nos « arts libéraux » disparaî­traient sans crier gare, les amants manqueraient leurs rendez-vous nocturnes pour s'époumoner en courses obscures et vaines, le chœur des grenouilles d'Aristophane et les Pierrots lunaires pointeraient au chômage, les peintres chinois avaleraient leurs pinceaux, l'islam en serait réduit à changer sa ban­nière, et les boulangers, de Vienne à Vancouver, à brader leurs croissants. Mieux vaut n'y pas penser.

Pour vous rassurer, j'ai choisi une image où la lune n'est pas près de nous quitter. Il s'agit d'une figure de tarot, peinte et dorée sur vélin, d'un travail pro­bablement vénitien du début du xve siècle. Alors le tarot ne servait ni au jeu, ni à la cartomancie, née bien plus tard, mais constituait un ensemble d'em­blèmes ésotériques dont l'interprétation était l'af­faire de quelques initiés. Les princes italiens, plus tard allemands, raffolaient de cette emblématique. Ils commandaient selon leur fantaisie des jeux aujourd'hui rarissimes - vénerie, musique, mytholo­gie à des ateliers aussi connus que ceux de Konrad Witz, et les interrogeaient, par mage interposé, avant de conclure mariage ou de s'armer pour partir en campagne.
[…]

Biblio : éditions ZOE

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