La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

mardi 3 février 2015

L'Homme dans la lune 5 : Pan Twardowski

Dans un de ses poèmes, Wisława Szymborska (prix Nobel de littérature 1996) mentionne un personnage nommé Twardowski, au sujet duquel le traducteur Christophe Jezewski apporte en note quelques explications :

"Twardowski, personnage d'une célèbre légende polonaise, gentilhomme qui ayant vendu son âme au diable, ruse avec lui pour ne pas aller en enfer, et, finalement, alors que le diable l'emporte, est sauvé grâce à ses prières à la Vierge et se retrouve sur la lune où le diable le laisse tomber."

Vous comprendrez que l'existence d'un nouveau résident sur la lune a fait aussitôt dresser les oreilles de votre lièvre précieux et le précipiter vers le Centre de documentation de son hyper-terrier, afin d'avoir plus d'information sur cet événement. Les premiers résultats de l'enquête confirment en effet la présence de ce Faust polonais et nous renseignent sur les raisons de son exil sur l'astre lunaire :

"Pan Twardowski était membre de la noblesse polonaise qui résidait à Cracovie au 16e siècle. Il vendit son âme au diable en échange de la connaissance et de pouvoirs surnaturels. Cependant, Pan Twardowski voulut se montrer plus malin que le diable en incluant une clause spéciale dans le contrat qui énonçait que le diable ne pouvait reprendre son âme que lors d'un séjour à Rome, une ville qu'il n'avait pas l'intention de visiter.

Avec l'aide du diable, Pan Twardowski acquit rapidement fortune et célébrité, devenant un membre de la cour de Sigismond II de Pologne, qui recherchait la consolation dans la magie et l'astrologie après la mort de sa femme, Barbara Radziwiłł. Pan Twardowski aurait fait apparaître le fantôme de sa femme grâce à un miroir magique. Pan Twardowski écrivit aussi deux livres, dictés par le diable, une encyclopédie et un livre sur la magie.

Stasys Eidrigevičius, poster pour le ballet Pan Twardowski
Après plusieurs années pendant lesquelles il échappa à son destin, le diable roula Pan Twardowski en l'attirant dans une auberge dont le nom était Rome. Pendant que le diable prenait son âme, Pan Twardowski pria la Vierge Marie, ce qui fit que le diable relâcha sa victime à mi-chemin de l'enfer, sur la lune, où il vit aujourd'hui. Son seul compagnon est son assistant, qu'il avait transformé un jour en araignée : de temps en temps, Pan Twardowski la laisse descendre sur Terre pour qu'elle lui en rapporte quelques nouvelles (les derniers potins et ragots, précise-t-on)."

A cette légende, qui propose comme une sorte de décalque de la légende de Faust, s'est ajoutée des éléments plus récents et la figure du personnage s'est elle-même modifiée. Dans un Guide touristique de Cracovie, Twardowski reçoit le prénom de Jan et cherche à découvrir la pierre philosophale. Alchimiste et médecin, mais surtout magicien, on nous dit qu'il "guérissait les maladies et rajeunissait les gens".


Souvent, sur les illustrations qui le représentent, on voit Twardowski chevaucher un coq. Il est dit qu'au moment où le diable fit apparition dans l'auberge nommée "Rome" pour prendre l'âme de Twardowski, celui-ci sauta sur un coq et s'envola dans le ciel... Mais l'histoire est parfois différente, comme nous le remarquerons ci-dessous, dans une version encore plus étendue de la légende. 

Une autre précision, anecdotique, nous semble avoir été enfin ajoutée à des fins purement touristiques :

"Grâce à l’aide du diable, Twardowski aurait entre autres, formé le désert Błędowska (l'un des cinq déserts naturels d'Europe, situé en Haute Silésie). Selon la légende, sur les terrains des actuels Rochers de Twardowski (Zakrzówek), Maître Twardowski avait une école de magie et de sorcellerie. Un jour, l’explosion de son laboratoire donna naissance à ces rochers."

La légende fit l'objet de différentes interprétations littéraires (poésie, roman), d'adaptations théâtrales et musicales : un premier opéra en 1828, un ballet en 1874, des films, dont un de Ladislas Starewitch en 1917, puis d'autres en 1921, 1936, 1995...
Dans le texte qui suit, la légende nous paraît à présent assez complète dans sa description et si elle nous intéresse en matière de comparaison avec celle du docteur Faustus, elle comporte des éléments comiques dont celle-ci est évidemment exempte : 

Dès le 15ème siècle, l'Université de Cracovie a été célèbre dans le monde pour sa faculté d’astronomie – (où s’instruisit entre autres l’illustre Kopernik) – mais aussi pour son département d’astrologie qui attirait des étudiants de tous pays. Certains venaient dans le but d’ en savoir plus sur les sciences occultes. En dehors de l’Université, ils pouvaient fréquenter les ateliers des magiciens et alchimistes du centre de la Cité. 
Le plus réputé de ces alchimistes se trouvait être un homme de noble descendance qui s’appelait Pan Twardowski. Il vivait à la fin du moyen-âge ou au début de la Renaissance, au début du 16ème siècle. Depuis son enfance, il aimait passionnément lire. Bourré de connaissances, il occupait ses jours et ses nuits à expérimenter des formules de magie noire.
Ses compétences en matière de magie étaient largement aussi reconnues que celle du célèbre docteur Faustus, alchimiste allemand, qui d’ailleurs lui rendait parfois visite. Tous deux discutaient de longs moments de leurs connaissances ésotériques, de leurs trucs et astuces en matière de magie, de leurs mystérieuses potions. Si chacun d’eux gardait cependant jalousement quelques secrets très personnels, ils savaient qu’ils avaient en commun certaines pratiques, notamment pour rencontrer le diable. L’un comme l’autre appelaient le diable la nuit tombée, au moment de la pleine lune.

Cependant, Pan Twardowski avait atteint un tel niveau de connaissance en matière d’astrologie que tout Cracovie connaissait son nom. On le respectait d’autant plus qu’en dehors de ces domaines occultes, il avait également d’excellentes connaissances en médecine. Malgré sa personnalité mystérieuse, il n’était nullement mauvais homme. Les Cracoviens, même les plus humbles, ne le sollicitaient pas en vain en cas de maladie, il acceptait tout naturellement de les soigner.
Sa réputation parvint aux oreilles du roi lui-même, Sigismond-Augustus. Son épouse Barbara, que le roi aimait passionnément, venait de mourir. Il était inconsolable. Il fit appeler Twardowski au Wawel pour avoir recours à ses dons. L’alchimiste, par d’habiles tours de magie, parvenant à lui faire apparaître le visage de la défunte, il devint très estimé du roi. 
Cependant, Twardowski continuait ses interminables expériences dans son logis. Une nuit qu’il avait longuement veillé, il essaya une incantation trouvée dans l’un de ses énormes livres. A peine avait-il prononcé la formule qu’une créature étrange apparut dans la pièce. Ses petites cornes rouges, ses sabots, ses griffes ne laissaient pas de doute : C’était bien Méphistophélès qui se tenait devant Twardowski. A l’issue d’une longue discussion, ils se mirent tous deux d’accord et signèrent un pacte :
Pan Twardowski acceptait de vendre son âme au diable ; en échange, ce dernier consentait à exaucer tous ses souhaits. Pour finir, selon leur accord, le diable viendrait chercher Twardowski pour prendre possession de son âme lorsqu’il le trouverait à Rome.
Twardowski riait sous cape, pensant qu’il avait joué un bon tour au diable, car il se garderait bien d’aller jamais à Rome (où pourtant mènent tous les chemins, Note du blogueur).
Les mois et les années passèrent. Pan Twardowski était devenu riche, comblé. Il s’amusait même à considérer le diable comme un vrai serviteur, lui demandant d’exaucer mille et un caprices, ce que le diable, selon leur accord, ne pouvait refuser.
On dit que le magicien se promenait sur la place du Rynek juché sur le dos d’un coq géant. Une autre fois, il ordonna à Méphisto d’ériger une immense pierre en forme de massue (que l’on peut toujours voir dans le massif des Sudètes à Pieskowa Skala, pierre connue sous le nom de «massue d’Hercule»). D’autres fois, il passait à cheval sur le marché, renversait vases et vaisselles et ordonnait au diable de les remettre en état pour les restituer intacts aux propriétaires.
Tant et si bien que le diable se sentait devenir fou avec tous les caprices de Twardowski et qu’il décida de prendre les choses en mains, comprenant que le magicien se garderait bien de se rendre jamais à Rome.
Le diable fit donc construire par ses ouvriers à la sortie de la ville une auberge dans le plus grand secret. Et un soir, alors que la nuit était tombée, il fit appeler Twardowski sous le prétexte qu’un enfant malade, dans les faubourgs de la ville, avait besoin de ses soins d’urgence. Twardowski qui malgré tout, était resté un médecin dévoué à tous ceux qui avaient besoin de son aide, s’empressa de monter dans la calèche qui l’attendait. Le cocher l’arrêta devant une auberge qu’il s’étonna un peu de ne jamais avoir vue. Quand il fut entré sans méfiance à l’intérieur, le diable apparut, triomphant.
Ton âme est à moi, claironna-t-il.
Et il montra à Twardowski médusé l’enseigne de l’auberge. Celle-ci portait le nom de Roma.

Aussitôt le diable s’empara du magicien et ils commencèrent à voler, Twardowski serré entre ses griffes.
Dérouté, Twardowski se souvint de son enfance, l’image de sa tendre mère lui revint en mémoire et les chansons pieuses qu’elle lui fredonnait lui revinrent aux oreilles. Il se mit à entonner un cantique à la Vierge Marie, de plus en plus fort, comme s’il voulait se donner du courage. Comme par miracle, le diable perdit ses forces, ses griffes se desserrèrent et il disparut. Twardowski resta suspendu sur un quart de lune… où il est encore.
Il attend patiemment le jour du jugement dernier. Il a trouvé le moyen de communiquer avec les autres planètes par un réseau d’araignées qui lui sont toutes dévouées. Les nuits bien dégagées, il a le bonheur de pouvoir contempler de là-haut, la terre et particulièrement sa cité bien-aimée de Cracovie. Il peut même voir comme les petits enfants dont les mamans leur raconte son histoire, se mettent à regarder vers la lune à travers les fenêtres, pour tenter de distinguer la silhouette du fameux magicien…