La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

samedi 29 octobre 2011

L'instant fatal, Raymond Queneau

Raymond Queneau, sur la route d'Ermenonville - 1928
L’encrier noir au clair de lune
 
l’encrier noir au clair de lune
au clair de la lune un encrier noir
au clair de la lune un encrier noir
au pauvre poète a prêté sa plume
au pauvre poète a prêté sa plume
il fait un peu frais ce soir
au clair de la lune un encrier noir
sur le papier blanc a couru la plume
la plume a couru zen petits traits noirs
une lune blanche un sombre encrier
sont les père et mère de ce nouveau-né
une lune blanche un sombre encrier

Pour un art poétique, 6

vendredi 28 octobre 2011

Tsuki Hyakushi [Cent aspects de la Lune]

Maître des arts graphiques japonais, Tsiukoka Yoshitoshi (1839-1892) entre à l’âge de 11 ans dans l’atelier de Utagawa Kuniyoshi, dont il devient l’un des principaux assistants. Il signe sa première œuvre à 14 ans et dans les années 1860, produit des estampes au caractère violent, tant dans les sujets que le graphisme. Le succès lui vient en 1865 avec une série intitulée Cent histoires de fantômes de la Chine et du Japon. Certaines planches, pleines de cruauté, confinent au sadisme et ne sont pas sans rapport avec l’état psychologique du dessinateur.
En 1872-1873, Yoshitoshi est hospitalisé pour une dépression nerveuse puis il reprend son travail, mais dans une voie et un style différents : graphisme plus épuré, couleurs plus diversifiées et moins agressives.
Dans les années suivantes, il travaille pour la presse. Sa vie se stabilise (en 1884, il épouse une ancienne geisha et adopte son fils de quinze ans, qui deviendra lui-même dessinateur). Durant la dernière période de sa vie, Yoshitoshi donne sa production la plus remarquable, dont une série intitulée Cent aspects de la lune, qui constitue l’un des plus grands succès de l’estampe du Japon.

Tsiukoka Yoshitoshi meurt le 9 juillet 1892, peu de temps après avoir livré les dernières planches de cette série.

mercredi 26 octobre 2011

Le clair de lune, Aloysius Bertrand

Réveillez-vous, gens qui dormez,
Et priez pour les trépassés.
Le cri du crieur de nuit.

Oh ! qu’il est doux, quand l’heure tremble au clocher, la nuit, de regarder la lune qui a le nez fait comme un carolus d’or !

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Deux ladres se lamentaient sous ma fenêtre, un chien hurlait dans le carrefour, et le grillon de mon foyer vaticinait tout bas.

Mais bientôt mon oreille n’interrogea plus qu’un silence profond. Les lépreux étaient rentrés dans leurs chenils, aux coups de Jacquemart (1) qui battait sa femme.

Le chien avait enfilé une venelle, devant les pertuisanes du guet enrouillé par la pluie et morfondu par la bise.

Et le grillon s’était endormi, dès que la dernière bluette avait éteint sa dernière lueur dans la cendre de la cheminée.

Et moi, il me semblait, — tant la fièvre est incohérente ! — que la lune, grimant sa face, me tirait la langue comme un pendu !

Gaspard de la Nuit
Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot
Extrait du Troisième Livre : La nuit et ses prestiges

(1) On ne sait l'origine exacte du nom "Jacquemart". Henri Chabeuf y voit celui de Jacquemart Yolem, horloger lillois, Eugène Fyot la contraction de "Jacques (au) Marteau". Peu importe, Jacquemart n'en domine pas moins "Gaspard de la Nuit" : "L'artiste placera dans son dessin, au milieu ou dans un coin de la bande du haut de la page, le "Jacquemart de Dijon" qui se trouve gravé dans la 2° année du magasin pittoresque. Cela est important" nous dit Louis dans "Dessin d'un encadrement pour le texte".

Comment expliquer la phrase au troisième paragraphe du poème "Le clair de lune": " Les lépreux étaient rentrés dans leur chenil, aux coups de Jacquemart qui battait sa femme " ? H. H. Poggenburg nous dit : " Les coups de Jacquemart se mêlant au glas de la cloche et aux cris du crieur de nuit de l'épigraphe créent un vacarme évocateur de cette violence domestique. Celle-ci rappelle une légende bourguignonne selon laquelle l'aumônier de Philippe le Hardi obtient pour Jacquemart et sa femme, couple en chair et en os, la charge de veilleurs de nuit au sommet de la tour Notre-Dame. Bientôt les disputes divisent le ménage et ils sont obligés de sonner jour et nuit pour exprimer leur rage. Dans une crise particulièrement vive, ils s'assomment et se tuent. L'aumônier suggère alors de les remplacer par des sonneurs mécaniques". Légende restant légende, j'y vois une autre explication : la cloche d'origine du beffroi de Courtrai ayant été cassée lors du transport, elle sera refondue dans la cour du couvent des Jacobins et baptisée Marguerite en l'honneur de Marguerite de Flandre. La première compagne de Jacquemart est donc la cloche Marguerite, victime directe de ses coups de mail. Cette hypothèse me semble bien dans la manière de Louis, passé maître dans l'art de mêler les fils de bamboches (les lieux, les époques, etc.) au grand plaisir de la gargouille se moquant de nos ébahissements.

Mon ami Louis Bertrand, blog dédié à la mémoire de Louis Bertrand, dit "Aloysius Bertrand".

 
 "Mon émerveillement est resté le même. Ce livre n'a pas une ride, il se situe hors du Temps. Et j'éprouve toujours l'impression de toucher là au mystère le moins exprimable de la poésie."

André Hardellet

20 avril 1807 : naissance de Jacques Louis Napoléon Bertrand à Ceva, territoire italien occupé par la France.

En 1815, la famille Bertrand s’installe à Dijon.

En novembre 1828, Bertrand effectue un premier séjour parisien. Il est reçu par Victor Hugo, Émile Deschamps et Charles Nodier (3 dédicataires de ses écrits). Hugo et Sainte-Beuve se montrent sensibles à ses productions.

Première tentative de publication en 1829 de ce qui s’appelle encore Bambochades romantiques, mais l’éditeur fait faillite et le manuscrit est placé sous séquestre.

Retour de Bertrand à Dijon, plusieurs textes paraissent en revue. Bertrand adhère à la révolution des Trois Glorieuses (27-29 juillet 1830) et ses positions politiques se radicalisent (articles virulents et polémiques). Il se revendique "prolétaire", se bat en duel avec un rédacteur de journal.

Second séjour parisien en 1833, qui sera définitif (sa mère et sa sœur le rejoignent). Eugène Renduel, éditeur des romantiques, inscrit à son catalogue Gaspard de la nuit. En 1834, le manuscrit est à nouveau mentionné au catalogue de l’éditeur…

En 1986, Renduel diffère la publication puis un projet de contrat voit enfin le jour. Bertrand est alors dessaisi de son manuscrit.

Bertrand écrit en octobre 1837 à David d'Angers que son Gaspard de la Nuit "attend le bon vouloir d'Eugène Renduel pour paraître enfin cet automne."

L'orientaliste Théodore Pavie propose à David d'Angers l'impression du recueil par son frère Victor Pavie, Renduel ne voulant plus se charger du livre.

Bertrand, qui souffre de phtisie, entre en 1838 à l’hôpital Notre-Dame de la Pitié sous le nom de "Bertrand, Jacques Aloysius" puis, l’année suivante, à l’hôpital Saint-Antoine sous le nom de "Jacques-Ludovic Bertrand, étudiant".

En 1840, Bertrand date du 5 octobre le sonnet A Monsieur Eugène Renduel, invitant l'éditeur (qui a en fait abandonné la profession) à tenir ses engagements : le recueil est en effet annoncé depuis 1833…

Le 11 mars 1841, Bertrand entre à l’hôpital Necker sous le nom de "Jacob Louis Napoléon Bertrand, étudiant". Sainte-Beuve plaide la cause de Bertrand auprès de Renduel pour récupérer le manuscrit et le publier par Victor Pavie.

Mars et avril : importante correspondance avec David d'Angers, signée "L. Bertrand". La dernière lettre, à un mois de la mort, a valeur testamentaire : "Je suis dans une crise que je crois la dernière" ; il se plaint des changements dans son manuscrit que lui imposait Renduel, mais s'abstient de commenter les retranchements que demande le nouvel éditeur, Victor Pavie : le rapprochement n'est sans doute pas fortuit. En effet, ce dernier estime que le manuscrit "a besoin d'être réduit au tiers" et que la première préface au moins doit être entièrement supprimée. Faute d'un ouvrage conforme à ses vœux, Louis Bertrand craint de "mourir tout entier".

Le 29 avril, mort de Bertrand. Sollicitée par David d'Angers, la famille (mère, sœur et frères) ne participera pas aux obsèques le lendemain ; David d'Angers sera seul à suivre le corbillard. Quelques semaines plus tard, David rachète à Renduel le manuscrit de Gaspard de la Nuit. La vie posthume de Bertrand peut enfin commencer...

Chronologie établie d’après les repères biographiques de Lucien Chovet

mercredi 19 octobre 2011

Partition rouge [éditions du Seuil, 1988]

On retrouve dans le livre Partition rouge, poèmes et chants des indiens d’Amérique du nord (traduits et présentés par Jacques Roubaud et Florence Delay) une variante plus moderne (qui est en même temps un commentaire sur la tradition du conte) du récit des indiens Winnebagos et du trickster Coyote :

La figure centrale est Coyote et non le Grand Lièvre, mais Coyote ne ressemble pas au coyote, ce serait trop simple... À quoi ressemble-t-il ? à rien. Il change tout le temps : "il a été Lièvre, Corbeau, Geai-Bleu, Wichikapache et, Nanabush, Nanabozho, Ni’hança ou Iktomé, l’Homme-Araignée des Sioux, si fourbe et grand danseur qu’après avoir roulé le monde il s’enroule lui-même en petite boule à huit jambes et le long d’un fil disparaît, impuni, tel l’Homme Blanc."

"Ce jour-là il avait recommandé à son petit frère Cul de surveiller la cuisson des canards. Il les avait égorgés par traîtrise, avec un truc chamanique. Comme il dormait, il n’a pas entendu les messages re-pétés. Au réveil, découvrant son repas brûlé (ou volé, il existe des centaines de versions) il a puni son cul en lui enfonçant dans l’œil un tison enflammé. Naturellement c’est lui-même qu’il a brûlé, mais ce jour-là les indiens ont appris à manger la viande de deux façons : cuite sous la cendre ou rôtie.

Wakdjunkaga (ou Wichikapache) se remet en marche...

Sur la route, éternellement en train de marcher, même dans ses rêves, il rencontre des morceaux de chair délicieux. Il s’en régale avant de s’apercevoir horrifié que ce sont ses propres entrailles qu’il avait brûlées. Alors il les attache. Les attachant, il les comprime tellement que des rides et des plis se forment. Voilà pourquoi le cul des humains a la forme qu’il a."

Coyote invente tout. Faux chef. Grand CHEF. Grand Mystère. Premier né. Premier artisan. Responsable des choses telles qu’elles sont. Grand-Père de Tous. Farceur. Tricheur. Créateur qui gâche tout.

Coyote a créé le monde mais à peine l’a-t-il créé qu’il le détruit. Bienfaiteur. Idiot. Ne sachant pas distinguer la partie du tout, ce qui est à lui de ce qui est à l’autre, jonglant avec ses yeux. Tout le temps en morceaux. Et ressuscitant.

Vieux Coyote ! Rien n’est sacré pour lui. Il trompe, il bat, il vole, il viole, il tue, pour assouvir le moindre désir… Montrant ce qu’il ne faut pas faire en le faisant. Par l’envers confirmant la loi.

 
Coyote est la plus ancienne créature du Créateur : le conte.






Photographies New York Library :
Indiens Navajos sortant de l'obscurité
Canyon de Chelly (vers 1904)


 

samedi 15 octobre 2011

Menebuch, le Grand Lièvre des Winnebagos


Ce récit, fait par les indiens Winnebagos du Wisconsin, illustre à la fois la personnalité balourde des Tricksters et la trivialité de nombreux mythes les concernant :

"Grand Lièvre (Menebuch), ayant chassé quelques canards, les mit à rôtir au feu tandis qu'il s'accordait un petit somme. Il demanda à son anus de monter la garde, cependant des renards s'emparèrent de son repas. Lorsqu'il se réveilla et découvrit que les canards avaient disparu, il s'emporta contre son anus :
« Ne t'avais-je pas dit de surveiller le feu. Je vais te donner une bonne leçon ! »
Se saisissant d'un brandon, il brûla l'orifice de son anus, et se mit à hurler de douleur. Pestant contre sa propre bêtise, Grand Lièvre s'en alla clopin-clopant. En chemin, il trouva un morceau de gras sur la route, commença à le manger et le trouva délicieux. Mais il comprit vite qu'il était en train de déguster un bout de ses propres intestins, tombés hors de son anus brûlé. Il s'écria :
« Les gens ont raison de me traiter d'idiot ! », puis il remit ses intestins en place, les serrant et repliant du mieux qu’il put, ce qui explique pourquoi l'anus des hommes est ridé."














  De haut en bas :

Indiens Winnebagos à Ft Snelling, 1863
Chef indien Winnebago, vers 1862-1875

Robert N. Dennis collection / Stereoscopic views of the Indians of Minnesota and the Old Northwest. New York Public Library

dimanche 2 octobre 2011

Calamités

L’écriture est une calamité. Le langage est un carnage.

Votre lièvre précieux poursuit quelques vieilles chimères, dans ses propres rêves comme en celui des autres. Il lui arrive aussi d’en dessiner, sur simple coup de tête. Maniant calame et plumes diverses, encres de chine et de couleur, une petite série de figures anthropomorphiques et zoologiques est née, surgie des profondeurs de songes drolatiques. La famille de monstres espère s’agrandir et se nourrir de ces exemples incongrus qui ont nourri l’imagination de leurs premiers crissements...