La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

mercredi 23 janvier 2013

Deep in the blues, James Cotton [Polygram/Polydor, 1996]

Le blues, de 7 à 77 ans ! C'est l'âge actuel de James Cotton, qui reste actif (son album « Giant » date de 2010) et qui entre à présent dans sa soixante-dix huitième année. Un modèle de vigueur et d'endurance, avec plus de 60 ans de musique au cœur et aux tripes.

Deep in the blues, petite perle de blues traditionnel (acoustique) datant de 1996 fut couronnée par un Grammy Award. Récompense bien méritée pour James Cotton, compositeur, chanteur et harmoniciste parmi les plus grands, héritier de Sonny Boy Williamson II, reconnu pour maître (ce dont on ne s'étonnera pas).

James Cotton, au début de sa carrière, jouait de la batterie, mais s'est vite concentré sur l'harmonica avec un talent incontestable, en jouant d'abord avec Howlin'Wolf au début des années 1950, aux côtés d'un autre grand bluesman contrebassiste, Willie Dixon (disparu en 1992). Il a été également l'harmoniciste, en alternance avec Little Walter, du non moins gigantesque Muddy Waters (voir video ici incluse), de Matt Murphy... En 1965, il forme le James Cotton Blues Quartet, avec Otis Spann au piano, puis le James Cotton Blues Band en 1967.

Deep in the blues, dont le prix modique de vente ne saurait vous priver, est simplement impeccable, sans aucune tache de vieillesse, et le jeu et la voix de James Cotton, qui venait de se battre contre un cancer de la gorge, sont à couper le souffle, portés le jeu subtil de Charlie Haden, plus connu comme jazzman, et l'appui aussi discret qu'efficace de Joe Louis Walker (sans oublier Dave Maxwell au piano sur quelques titres).



 

jeudi 17 janvier 2013

Les sept types en or : Joseph Noiret [1927-2012]

Les mots plantent le décor de cette scène où, me cachant, je me donne à voir. Mais seul spectateur attentif à découvrir le chemin qu'ouvrent les mots, je cherche l'issue par où quitter cette scène que les autres arpenteraient sans fin.

(J. Noiret, La recherche des lieux)

Joseph Noiret, décédé il y a juste un an, fit brièvement partie avec Christian Dotremont du surréalisme révolutionnaire en Belgique et fut, à la suite d'une rupture prononcée en 1948 (« La cause était entendue », voir ci-dessous), l'un des protagonistes (et mémorialiste) du mouvement CoBrA (Copenhague/Bruxelles/Amsterdam). Il fut également l'un des fondateurs en 1953 de la revue Phantomas, que votre lièvre précieux a déjà mentionné ici, à travers les portraits de Paul Bourgoignie, Marcel Havrenne, François Jacqmin et Théodore Koenig.

COBRA, 8 novembre 1948 

LA CAUSE ÉTAIT ENTENDUE

Les représentants belges, danois et hollandais à la conférence du Centre international de documentation sur l’art d’avant-garde à Paris jugent que celle-ci n’a mené à rien. La résolution qui a été votée à la séance de clôture ne fait qu’exprimer le manque total d’un accord suffisant pour justifier le fait même de la réunion.
Nous voyons comme seul chemin pour continuer l’activité internationale une collaboration organique expérimentale qui évite toute théorie stérile et dogmatique.
Aussi décidons-nous de ne plus assister aux conférences dont le programme et l’atmosphère ne sont pas favorables à un développement de notre travail. Nous avons pu constater, nous, que nos façons de vivre, de travailler, de sentir étaient communes ; nous nous entendons sur le plan pratique et nous refusons de nous embrigader dans une unité théorique artificielle. Nous travaillons ensemble, nous travaillerons ensemble.
C’est dans un esprit d’efficacité que nous ajoutons à nos expériences nationales une expérience dialectique entre nos groupes. Si, actuellement, nous ne voyons pas ailleurs qu’entre nous d’activité internationale, nous faisons appel cependant aux artistes de n’importe quel pays qui puissent travailler – qui puissent travailler dans notre sens.

CENTRE SURREALISTE-REVOLUTIONNAIRE EN BELGIQUE : Dotremont, Noiret.
GROUPE EXPERIMENTAL DANOIS : Jorn.
GROUPE EXPERIMENTAL HOLLANDAIS : Appel, Constant, Corneille. 

Pour un rapide portrait de Joseph Noiret, laissons d'abord la parole à Pierre Puttemans, le plus jeune des « sept types en or » (1) et qui est à présent l'unique témoin vivant du groupe Phantomas :

"Malgré un goût pour la discrétion et une horreur quasi viscérale de toute théorisation et de tout manifeste, Joseph Noiret était sans doute le plus porté à émettre des jugements critiques parfois féroces, à rédiger des préfaces de livres ou d’expositions […] Plusieurs mythes doivent être démontés ici. D’une part, celui d’une rupture avec la France tout entière, et avec Paris en particulier qui la résumerait comme une globalité : d’une part, l’acronyme Cobra me paraît plus inclusif qu’exclusif ; nombre d’artistes français vont très rapidement se joindre au mouvement, qui est ainsi plus lié au rejet d’une théorisation univoque et du dogmatisme qu’à tout autre rejet."
[…]
"Joseph Noiret fut sans doute, avec moi qui suis architecte, le seul collaborateur que le métier « civil » n’ennuyait pas : il enseigna la littérature et la philosophie dans le réseau secondaire, puis à l’IESS avant de le faire à La Cambre, dont il fut directeur en 1979 […] Les questions d’actualité politique ou idéologique étaient très rarement évoquées ; toutefois, Noiret exprima très rapidement son dégoût du réalisme socialiste […] L’opposition à un certain communisme se traduira notamment dans le texte de Dotremont, Le réalisme socialiste contre la révolution, Bruxelles : Cobra, 1950 (cité par Joseph Noiret dans « Cobra », in Phantomas n°100-111 (La Mémoire).

Pierre Puttemans, Joseph Noiret ou l’aventure dévorée : de Cobra a l’Estaminet

(1) Pierre Puttemans nous confie par ailleurs que « L’appellation Sept Types en Or paraît avoir été créée par Théodore Koenig en 1979, par allusion au film italien Sept Hommes en Or, parodique et policier ».

Joseph Noiret revient lui-même sur les événements qui ont préludé à la naissance du mouvement Cobra, dans La Belgique sauvage (Phantomas) :

"Dans une glaise commune, le travail de poètes, de peintres, d'ethnologues creusait les sillons qui allaient devenir un champ. À travers l'Europe, le hasard des rencontres, des voyages, des revues ou des exposition ménageait les contacts nécessaires à chacun pour franchir le cul-de-sac d'un horizon illusoire. Était-il concevable que toutes ces expériences s'ignorent, que ces élans jamais ne se rencontrent ? L'art expérimental exigeait une unification momentanée des efforts, lui qui jouait son existence chaque jour et chaque nuit et tendait vers ce moment où il ferait lui-même le jour et la nuit. Une telle exigence conduisit des peintres et des poètes à ouvrir une salle des pas trouvés, un univers de la bonne santé poétique et picturale, où la recherche sensible confronterait ses évidences. Aussi puis-je affirmer que COBRA devait naître, unir, puis prendre de nouveaux visages selon les nécessités de notre vie".

"Après la fin de Cobra, Joseph Noiret allait poursuivre avec le peintre et sculpteur Serge Vandercam une expérience d’œuvres communes dont on trouvera les traces dans divers tableaux, l’aménagement d’une station de métro bruxelloise, une réalisation située au musée du Sart-Tilman, etc."
Pierre Puttemans, texte cité


Être vigilant pour que le vivant que je suis se garde vif, pour que le vivant que je veux être ne s'enlise pas dans les strates de la mémoire.

(J. Noiret, La recherche des lieux)

PHANTOMAS, 1953 

Aux côtés de Marcel Havrenne et Théodore Koenig, Joseph Noiret était le plus jeune des trois fondateurs de la revue Phantomas.

« Sur le plan poétique, Noiret paraît s’être essentiellement interrogé sur le langage et le mécanisme de l’écriture, comme en témoignent l’œil, l’oreille et le lieu, ou Tas de mots, mise en scène des regards. L'aphorisme ou le jeu de mots apparaissent moins que chez Koenig ou Bourgoignie. A cet égard, il est plus proche de François Jacqmin. »

Pierre Puttemans, texte cité

Ta langue, dit-elle, n'est pas pieuse, est pas pilleuse, est papilleuse.

(J. Noiret, Écritures)

Le saccage initial comme nécessité de tout acte initiateur.

(J. Noiret, La recherche des lieux)

Elle avait le goût salé que l'on connaît à ces filles dont le bout des seins est âcre et noir.

(J. Noiret, Écritures)

Insidieux, le cœur d'artichaut habité de poils : cœur et sexe dans le même instant, dans le même lieu.

(J. Noiret, Le cœur mis à nu comme organe mécanique)

Dans un texte intitulé Phantomas sur la sellette et peu à cheval..., publié dans le volume de La Belgique sauvage, Joseph Noiret faisait part de plusieurs points de vue concernant la pertinence du concept d'avant-garde ; si l'expression est à présent tombée en morceaux (par pourrissement naturel sémantique, non structurel) le propos reste foncièrement et fromagèrement d'actualité :

"Sachant bien aussi que la littérature d'avant-garde n'est pas nécessairement l'avant-garde de la littérature (et que d'ailleurs l'avant-garde s'ignore nécessairement comme telle), il faudrait tenter de définir, avant qu'il ne tombe complètement en morceaux – ce qui serait réjouissant, non ? - le concept pourri d'avant-garde : alors s'ouvrirait le vrai carnaval, au-delà de toute critique littéraire possible. Cette tentative exigerait la mise au point de critères de définitions, dégagés de toute mode, qu'il serait fort hasardeux d'établir et combien harassant : nous préférons donc faire l'amour, quel qu'en soit par ailleurs le mode.

Phantomas ne confond pas le carnaval avec le port de masques, il n'a pas le souci de l'avant-garde telle qu'on la fabrique ou qu'elle se fait, fromagèrement parlant, dans les milieux du lobby de la « littérature ». Phantomas ne s'enivre pas avec des étiquettes de flacons, Phantomas vit le jeu, joue la vie, ne joue pas le jeu."

LA CAMBRE, 1980 

Joseph Noiret fut en 1980 le premier directeur de l’Institut après la scission de l’enseignement des beaux-arts et de l’architecture et le resta jusqu'en 1992 […] Il y créa rapidement la section de restauration d’œuvres d’art […] L’atelier d’ « espaces urbains et ruraux », qui succéda à l’atelier du vitrail puis à celui de Transparence et matières de synthèse, fut rebaptisé par Noiret […] L’atelier de Haute Couture, présent jusqu’en 1964-1965, refit surface après quelques années d’éclipse, sous le nom d’atelier de stylisme. Des défilés de mode furent organisés dans plusieurs lieux publics de la capitale. Enfin, Noiret confiera à Yannick Bruynoghe (tôt disparu et proche de Phantomas) un cours d'histoire du jazz. 

Écrire : vouloir se souvenir de ce qui n'a pas encore eu lieu, de ce qui va prendre corps dans l'acte d'écrire, de ce qui va me porter plus loin dans le long cheminement du langage.

(J. Noiret, La recherche des lieux) 

L'ESTAMINET, 1993

"Joseph Noiret fonda en novembre 1993 une « revuette » plus confidentielle et à nouveau corrosive et parfois facétieuse, L’Estaminet, qui parut « au fur et à mesure des besoins », sous l’enseigne « à l’improviste ». Il y publia des textes inédits des anciens collaborateurs de Phantomas, une partie de la correspondance de Christian Dotremont avec Noiret, etc. L’esprit des premiers numéros de Phantomas y est revenu."

Pierre Puttemans, texte cité
photo de Serge Noiret

Comment se passionner à résoudre une énigme si, au bout du tunnel, ne s'ouvre pas l'énigme d'un autre tunnel ?
(J. Noiret, Écritures)

Principales publications de Joseph Noiret :
L’aventure dévorante, Bruxelles : Cobra 1950. Ill. Pol Bury
Description de Cobra, Bruxelles : Palais des Beaux-Arts 1962
Histoires naturelles de la Crevêche, Bruxelles : Phantomas Acoustic Museum 1971, ill. Mogens Balle
Tas de mots, mise en scène des regards, Bruxelles : Phantomas 1971. Ill. Maurice Wijuckaert
Cobra, Bruxelles : Phantomas 1972
Mise en scène de l’éphémère, Naples : Framart Studio, 1975. Ill. Sergio Dangelo
L’œil, l’oreille et le lieu, Bruxelles : Bibliothèque Phantomas, 1979 (ce volume reprend notamment des textes antérieurs)
L’espace oblique, Bruxelles : La pierre d’alun, 1986. Ill. Godfried Wiegand
ChronoCobra, Bruxelles : Didier Devillez, 1986
La conversation de Bierges avec Serge Vandercam, Gerpinnes : Tandem 1992

mercredi 2 janvier 2013

L'homme dans la lune 4 : Février, Job, St Gérard, Le Bouétiou, Nicodème, le Juif errant, le Diable, Pierrot, Jean des Choux, Jossa, Judas, Bazin, Bernai, Matièu, Bozar, Pharaon, Bruno et Caïn [France, Belgique]

Les taches de la lune ont excité à toutes les époques et sous les latitudes les plus diverses la curiosité populaire et, l'imagination ou la suggestion aidant, on y a vu, soit la représentation d'êtres ou d'objets extrêmement variés qui y sont parvenus dans des circonstances merveilleuses, soit des empreintes en relation avec les gestes et les légendes de l'astre des nuits.

À de rares exceptions, les taches de la lune dont parlent les traditions recueillies à l'époque contemporaine en France et en Wallonie sont anthropomorphes (comme la plupart des phénomènes de paréidolies) : elles représentent le plus habituellement un personnage transporté dans cet astre par punition, et qui y reste exposé aux regards de tous, comme à une sorte de pilori, pour servir d'exemple et d'avertissement aux hommes qui pourraient être tentés de commettre des actes analogues à ceux qui l'y ont amené. Afin que la leçon soit plus frappante, le coupable porte fréquemment sur son dos l'objet qui a servi à l'accomplissement du méfait pour lequel il a été condamné.

Suivant une série nombreuse de légendes que l'on rencontre dans le folklore germanique, Scandinave et anglo-saxon aussi bien que dans celui de France, l'homme de la lune y a été relégué pour une faute religieuse, qui, dans les pays chrétiens, est d'ordinaire la violation du repos dominical.

Parfois l'homme dans la lune est puni d'un manque de charité ; on sait que, d'après des traditions anciennes, constatées à peu près sous toutes les latitudes, des villes ou des individus, qui n'ont pas eu pitié des pauvres voyageurs, sont engloutis sous les eaux ; quelques légendes françaises parlent du châtiment aérien infligé en pareille occurrence à des gens inhospitaliers : le coupable, au lieu de disparaître sous le sol, est relégué dans la lune.

Dans les mêmes pays où l'homme de la lune est puni pour avoir enfreint une loi ecclésiastique ou manqué de charité, des légendes parlent de lui comme d'un voleur puni de déprédations nocturnes. Dans le plus grand nombre des légendes, le coupable, aussitôt après sa faute, est relégué, vivant, dans l'astre des nuits, et il doit y rester jusqu'au dernier jour du monde, sans pouvoir mourir.

Plusieurs récits disent que le coupable n'est pas seulement puni par la souffrance physique qui, dans beaucoup de légendes, semble causée par le froid ou par l'obligation de se promener ou de travailler sans relâche ; il éprouve aussi une terrible honte d'être exposé aux regards de tous. C'est pour être moins souvent soumis à cette espèce de pilori que le voleur d'un récit breton choisit la lune plutôt que le soleil, parce qu'il y sera moins souvent vu. 

Dans la grande majorité des légendes (35 sur un peu plus de 50), l'accessoire de l'homme dans la lune est un fagot, et cet objet est en relation avec un acte coupable commis pendant le séjour sur terre du personnage maudit ou châtié. La fréquence du fagot d'épines dans les punitions des attentats à la propriété, tient vraisemblablement à ce que le vol de bois est celui qui se commet le plus souvent la nuit. 

On peut se demander si, suivant une hypothèse plusieurs fois émise par ceux qui se sont occupés des taches de la lune, la source de cette branche de la tradition ne serait pas un passage des Nombres XV, 32-30 : lorsque les fils d'Israël étaient encore dans le désert, ils virent un homme assemblant du bois le jour du sabbat ; ils l'amenèrent à Moïse et à Aaron qui le mirent en prison, ne sachant que faire de lui. Dieu ayant été consulté par Moïse, dit qu'il fallait le conduire hors du camp et le lapider. M. René Basset pense que cet épisode de la Bible aura pu ensuite être combiné, à une époque que nous ne connaissons pas, avec l'enlèvement dans la lune appartenant à une autre légende.

Paul Sébillot, Folk-lore de France, Tome premier : Le ciel et la terre [extraits]

France

FEVRIER / JOB (Midi-Pyrénées)

D'après une tradition recueillie d'abord dans les Hautes-Pyrénées, puis dans le Gers, avec de simples différences de rédaction, Dieu se montra à un homme qui ne se reposait pas même les dimanches et les grandes fêtes : « Je te pardonne, lui dit-il, quant au passé, mais désormais ne travaille plus que les jours qui sont licites. » L'homme était en faute pour la troisième fois, portant sur son dos un fagot d'épines, lorsque Dieu survint et lui dit : « Tu ne m'as pas obéi ; je vais te punir et te retirer de la surface de la terre ; je t'exilerai, à ton choix, dans le soleil ou dans la lune ?» Dieu vint à son secours, disant : « Le soleil, c'est un feu ardent, et la lune, c'est la glace. » L'homme ayant, après réflexion, opté pour la lune, Dieu l'y transporta. Comme on était au mois de février, cet homme s'appelle Février ; parce qu'il n'a point voulu se reposer, il n'aura plus de repos dans l'astre qui marche toujours. Dieu proposa la même alternative au bonhomme Job, occupé le dimanche à boucher une brèche de son champ. Il choisit le soleil, mais l'ayant trouvé trop chaud, il obtint d'être transféré dans la lune.

ANONYME (Aquitaine)

D'après une tradition gasconne, un paysan qui avait l'habitude de ne pas observer le repos dominical, se leva de bon matin, le jour de Pâques, et alla couper une bourrée. Comme il retournait à son village, au moment de la sortie de la grand'messe, le vent l'emporta dans la lune avec son fagot, et il y demeurera jusqu'au jugement dernier.

SAINT GÉRARD (Limousin)

Bien d'autres personnages, dont la légende est parfois assez succincte, expient aussi une faute religieuse. En Limousin, c'est saint Gérard, qui a été envoyé là-haut, au froid, avec son fagot, pour avoir employé tous les dimanches à réparer ses haies.

BOUETIOU le Boiteux (Auvergne)

C'est aussi pour avoir ramassé des buissons le dimanche, que Bouétiou, l'homme dans la lune de l'Auvergne, y a été transporté avec sa charge.

ANONYME (Vendée)

En Vendée, un homme n'ayant pu chauffer son four le samedi, essaya de l'allumer le dimanche, depuis, il porte un fagot d'épines là-haut sans y parvenir.
Les paysans du Bocage vendéen montrent un homme dans la lune qui, ayant refusé à Jésus une place à son foyer, porte un fagot, au froid, sans parvenir à se réchauffer.

NICODEME, LE JUIF ERRANT, LE DIABLE, PIERROT (Haute-Bretagne)

En llle-et-Vilaine un paysan étant allé, le jour du Seigneur, chercher dans la forêt du bois pour son four, fut enlevé dans la lune avec sa bourrée. 

Aux environs de Guingamp, c'est le Juif Errant que certaines personnes aperçoivent dans la lune ; il est condamné à rester tout seul là haut et il amasse sans cesse des fagots pour brûler la terre au dernier jour. Dans ce pays, de même que sur le littoral des Côtes-du-Nord, c'est en effet par la lune que la terre sera alors consumée. La température de notre satellite étant, d'après l'opinion populaire, d'une froideur exceptionnelle, il aura du mal à amasser assez de bois pour en faire un brasier. Pourtant quelques personnes en Ille-et-Vilaine disent que Dieu a créé la Lune pour la nuit, parce qu'il savait bien que pendant le jour elle aurait chauffé trop dur la terre.

La fourche, au bout de laquelle le coupable d'infractions au repos dominical ou à la probité transporte assez fréquemment la bourrée qui fait son supplice, est aussi l'un des attributs de l'ange déchu ; cette idée a peut-être contribué à la formation de deux légendes qui jusqu'ici n'ont été relevés qu'en Haute-Bretagne : en Ille-et-Vilaine, le personnage de la lune est parfois le diable, et il porte au bout de sa fourche les damnés qu'il va enfourner ; sur le littoral dos Côtes-du-Nord, il amasse des fagots pour alimenter le feu de l'enfer. 

Un récit du littoral des Côtes-du-Nord raconte, avec plus de détails, les circonstances qui motivèrent la punition d'un paysan à la fois larron et égoïste ; mais châtié surtout pour ce dernier défaut. Pierrot dérobait les fagots de ses voisins, mais ne permettait à personne de se chauffer chez lui. Un soir qu'il faisait un froid très vif, un vieillard pauvrement vêtu lui demanda la permission d'entrer pour se chauffer au bon feu qui flambait dans sa cheminée. « Passe ton chemin, répondit Pierrot, ma maison n'est pas faite pour les vagabonds ! 

— Tu me refuses une petite place à ton foyer, dit le passant ; pourtant le bois que tu brûles ne te coûte pas cher ; mais il faudra le payer en ce monde-ci ou dans l'autre ; nous nous reverrons un jour. 

Le suppliant était Jésus-Christ ; peu après passa un autre mendiant, puis un second, enfin il s'en présenta successivement douze, qui sollicitaient la même faveur, et comme Pierrot les repoussait, ils s'en allaient en disant les mêmes paroles que le premier. Ces voyageurs étaient les douze apôtres. Lorsque, après sa mort, Pierrot arriva à la porte du Paradis, il y trouva les douze vieillards, et l'un d'eux lui dit : « Il n'y a pas de place ici pour toi, car on n'y admet pas les voleurs ; tu n'iras pas non plus en enfer, car tu n'as pas assez de gros péchés pour cela ; quant au purgatoire, n'y pense pas, tu as eu assez le temps de te chauffer pendant ta vie. Tu mérites d'aller dans un lieu froid, où tu porteras sur ton dos tout le bois que tu as volé, sans qu'il te soit possible d'allumer du feu. C'est dans la lune que tu feras ta pénitence. » Au même instant Pierrot se trouva dans la lune avec ses fagots. 

On raconte en Haute-Bretagne que Dieu survint au moment où un homme chargeait sur son épaule un fagot volé, et qu'il lui dit : « Ces fagots ne sont pas à toi ; pour te punir, je devrais te faire mourir ; mais je te donne le choix d'aller, après la mort, dans le soleil ou dans la lune. 

J'aime mieux aller dans la lune, répondit-il ; elle ne marche que de nuit, et je ne serai pas si souvent vu. 

AL LAÈRLAN (Basse-Bretagne)

Dans plusieurs récits de Bretagne, l'astre lui-même, adjuré par le larron, le punit aussitôt ; l'un d'eux suppose même que le serment par la Lune était employé en certaines circonstances, comme l'a été celui par le Soleil. Un seigneur qui revenait de la chasse le soir, rencontrant un de ses voisins assez mal famé, qui portait sur son dos plusieurs fagots d'ajoncs secs, l'accusa de les avoir dérobés sur sa lande. « Faites excuse, répondit le paysan, cet ajonc ne vous appartient pas. 
Jure-le par la Lune que voilà. 
Que la Lune m'engloutisse, si je l'ai pris sur vos terres !
Comme il mentait, la Lune l'engloutit, et les pères montrent à leurs enfants al laèrlan, le voleur de landes.

Dans une version modernisée du sud du Finistère, un homme chargé d'ajoncs coupés sur une lande communale est conduit devant le maire, qui lui reproche sa mauvaise action : le coupable nie, personne ne l'ayant vu à l'œuvre, et il s'écrie : « Que la Lune m'avale, si j'ai volé cette lande ! » Aussitôt la Lune descendit du ciel et l'engloutit. On raconte en Haute-Bretagne plusieurs légendes apparentées : un homme qui volait des fagots la nuit, fut accusé par leur propriétaire de les avoir pris dans son tas. « Que la Lune m'enlève, répondit le voleur, si ces fagots sont à vous I » A peine avait-il dit ces mots qu'il fut emporté dans la lune avec sa charge, qu'il doit porter jusqu'au jugement dernier. Un petit garçon qui a dérobé les œufs d'une bonne femme, ayant proféré les mêmes paroles, est transporté dans l'astre des nuits, comme le paysan, qui, accusé par ses camarades d'avoir volé un fagot quêté pour le feu de la Saint-Jean, a l'imprudence de s'écrier: « Si je l'ai pris, je veux que la Lune me supe ' (m'avale) ! »

ANONYME (Basse-Normandie)

En Basse-Normandie l'homme de la lune est le mauvais riche.
 
Dans le Perche cette leçon se présente sous sa forme la plus simple : l'homme au fagot est le premier voleur qu'il y ait eu sur la terre, et Dieu l'a placé dans la lune pour le châtier. 

En Basse-Normandie, un paysan était à la fois impie et voleur ; après avoir passé la nuit du samedi au dimanche à dévaster les haies voisines pour étouper la sienne, sans arriver à empêcher la lune d'y pénétrer par les interstices, il jeta sa serpe de dépit, quand sonna l'Angelus, et il s'en revenait, cheminant péniblement sous un gros fagot d'épines, lorsqu'il rencontra des gens qui lui crièrent : « Bonhomme, vous venez donc encore de nous voler du bois ! »

— Par ma fè, répondit-il, que je puisse être dans la lune, si vous ne mentez !

Il n'avait pas achevé que déjà il y était.

Dans une autre série de récits, l'homme de la lune, qui est aussi habituellement un voleur, s'est servi de son fagot pour essayer de se débarrasser de la lumière importune de cet astre. Le larron de la légende normande, ennuyé de voir dame Lune se promener dans son clos, avait d'abord tenté de boucher, en dévastant les haies voisines, les ouvertures de la haie par où ses rayons pénétraient.

JEAN DES CHOUX ou JEAN DE LA LUNE (Lorraine)

En Lorraine, elle punit un vol, et, semble-t-il, un acte d'irrévérence analogue à ceux qui, ainsi qu'on le verra plus loin, excitent son courroux. Jean des Choux, ou Jean de la Lune, passait son temps à voler les choux de ses voisins ; un jour que la Lune brillait en son plein, il eut peur de son regard menaçant, et comme sa brouette chargée de choux grinçait, il crut que c'était ce bruit qui éveillait l'attention de l'astre; il essaya de la graisser eu urinant sur le moyeu; mais la Lune le regardait toujours et finit par le faire monter jusqu'à elle. C'est lui que l'on voit roulant éternellement sa brouette sur le disque lunaire.

JOSSA / JUDAS (Champagne-Ardenne, Franche-Comté)
Deux légendes des Vosges racontent que des personnages parviennent à grimper jusqu'à la lune elle-même : un voleur du nom de Jossa, gêné dans ses expéditions par la lumière de la lune, jura de l'éteindre avec un fagot, mais arrivé à la lune, il y fut aussitôt collé. Judas Iscariote, fatigué de la voir le regarder sans cesse, s'écria : « Œil ouvert sur moi, je te crèverai, et avec un fagot je boucherai le trou sanglant que je te ferai ! » Il monta bien jusqu'à la lune, mais quand vint le moment d'exécuter sa menace, il se sentit retenu et comme cloué au sol par une main invisible. Il est resté depuis lors à la même place, exposé en punition de son crime, à la face du monde entier.

Judas figure dans d'autres traditions, surtout répandues dans l'est. On dit dans l'Aube : «Vois-lu Judas dans lai lunne, d'aiveu son fagot d'épingne » ; en Morvan, c'est Judas avec son panier plein de choux, ce qui suppose qu'on l'accuse de vol. D'autres légendes se rattachent plus étroitement à l'acte qui lui a valu une fâcheuse renommée. A Sainl-Pol (Pas-de-Calais) on montre aux enfants Judas Iscariote pendu par ses cheveux ou par ses pieds à un sureau ''. Dans la Marne, on leur dit aussi qu'après son forfait, il est allé se pendre dans la lune aux branches de ce même arbre. En Franche-Comté, on raconte qu'il a été relégué dans l'astre des nuits à cause de sa trahison : après sa mort, on agita en conseil divin ce que l'on pourrait faire de ce misérable, qu'on ne pouvait vraiment confondre avec les autres coupables : « Où que vous me mettiez, avait-il osé dire, je n'y serai pas seul.

— Tu seras mis en la lune, lui répliqua Dieu, où lu seras seul, car personne autre jamais n'y fut, n'y est et n'y sera. 

La légende ajoute que Judas y a la tête prise entre deux fagots d'épines, et l'on dit de quelqu'un qui se trouve dans une situation embarrassante : « Il est comme Judas sur des épines ». Quand la figure semble les regarder, les enfants lui adressent cette formulette injurieuse : 

Voilai la lenne,
Due lai proumène,
Voilai Judas
Merde pour son nâ. 

Si un enfant de la même région crache à la figure d'un autre, on lui crie : « Judas dans la lune ! » 

ANONYME (Bourgogne)

Un récit du Bourbonnais présente, en même temps que des affinités avec ceux qui précèdent, des circonstances particulières : une pauvre femme ayant lessivé le jour de Pâques, et l'un de ses voisins ayant bouché sa clôture avec des épines le jour de Noël, le bon Dieu n'en fut pas content ; il les appela pour les condamner, et leur dit : « Tous les deux vous ferez votre travail, toi, la femme, dans la Lune, et toi, l'homme, dans le soleil. »Un jour de bataille entre la lune et le Soleil, la femme ne pouvant plus supporter le froid qu'il y avait dans la lune, changea de place avec l'homme, qui se plaignait d'avoir trop chaud dans le soleil. Mécontents tous les deux, ils tentèrent une seconde fois d'échanger leurs places ; mais Dieu ne voulut pas le leur permettre.

En Bourbonnais, un bûcheron a coupé du bois le jour de Noël.

BASIN la Lune (Dauphiné)

Quelquefois, la Lune fait acte de justicier sans avoir été prise à témoin. Un barbier du Dauphiné, nommé Bazin, comme le voleur des légendes wallonnes, ayant voulu dérober sur le haut de la montagne du bois destiné au feu de la Saint-Jean, fut avalé par la Lune qui habite au sommets.

BERNAI le Sot (Languedoc) MATIÈU, LE COUPEUR DE BOIS (Provence)

En Languedoc, on voit sur le disque Bernai « que lou dimanche travailhat ».

Belgique 

BOZAR / BAZIN / (environs de Liège, Ardennes, Wallonie) – PHARAON (Hainaut) - BRUNO (Namur)

Un paysan, appelé Bozar, avait coutume de couper du bois pendant les offices ; un dimanche un vieillard vénérable se présenta à lui en disant : « Il y a six jours destinés au travail, le septième est fait pour se reposer et prier Dieu.» Bozar n'ayant pas obéi à cette remontrance, le vieillard, qui était le bon Dieu, lui dit : « Pour ta punition, je vais créer la lune et t'y enfermer à perpétuité avec le fagot que tu confectionnes en ce moment ». 

Suivant un récit wallon, Bazin qui allait à la maraude, la nuit, dans le champ de son voisin, fut surpris par celui-ci ; mais il l'effraya en disant : « Je suis sorti de mon tombeau, et je viens, au nom du Dieu vivant, enlever les petits et les grands ! » L'autre s'enfuit, mais le voleur n'échappa pas à la vengeance divine et il est condamné à rester dans la lune avec son fagot; c'est lui dont on voit la figure aux traits convulsés, qui regarde mélancoliquement la terre et l'on dit à Liège de quelqu'un justement puni :

C'est comme Bazin dans la Beauté (la lune)
Il a ce qu'il a mérité. 

Suivant une conception qui semble surtout répandue dans le pays wallon, la Lune agit de son propre chef pour se venger d'une insulte ou d'un mensonge commis sous son invocation, ainsi que le fait remarquer M. 0. Colson, qui a recueilli des versions conformes à cette idée : Bazin, qui était un voleur émérite, voulut, par une nuit sombre, dérober du foin chez un fermier en entrant par la fenêtre du toit. Au moment où il allait se retirer, muni d'une botte très grosse, la lune vint à briller, et un rayon le frappa en pleine face : le fermier le reconnut et cria son nom dans la nuit. Bazin, furieux d'être découvert, envoya la Lune « aux six cent mille diables qui l'emportent ! » celle-ci, pour se venger, retira son rayon et enleva Bazin que l'on voit là-haut avec sa botte de foin.

On raconte dans les Ardennes belges que, le jour de la fête patronale, une jeune fileuse, passionnée pour la danse, avait promis à sa mère de rentrer à la maison avant minuit, et dit en montrant la Lune : « Je vous obéirai, aussi vrai que la Lune nous éclaire ! » Elle laissa passer l'heure, et chacun s'en retourna chez soi, en se séparant sur la grande place près de l'église. Sa mère, éveillée par le bruit, s'y rend et ne rencontre pas sa fille ; mais la porte du cimetière était ouverte, il lui semble l'entendre, et elle lui dit : « Marie, la Lune t’éclaire et je te vois ! — Au diable soit la Lune ! » s'écria la jeune fille. Ces paroles n'étaient pas sitôt sorties de sa bouche qu'elle était dans la Lune. C'est elle qu'on voit là-haut, filant sans relâche les fils de la Vierge.

En Hainaut, un homme appelé Pharaon, allait par une nuit sombre, dérober les navets de son voisin quand il fut dérangé par un clair de lune subit ; craignant d'être aperçu, il saisit avec sa fourche un fagot d'épines et il s'apprêtait à en boucher la lune lorsque Dieu, pour le punir, l'attira dans l'astre.

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CAÏN (Luxembourg Belge)

Dans le Luxembourg belge, la lune représente le visage de Caïn qui, honteux de son crime, craint de se montrer à la lumière. Quelquefois il se blottit derrière un buisson ; mais il se cache assez maladroitement, car on distingue très bien ses oreilles, ses yeux, son nez et sa bouche. Les parties qu'il ne parvient pas à dérober à la vue sont les taches de la lune. Suivant une autre version, il est condamné, en punition de son fratricide, à pousser devant lui une brouette jusqu'à la fin du monde, comme le voleur lorrain ; à Laroche, province de Liège, ce personnage s'appelle aussi Caïn, sans récit explicatif ; dans la Marne, son supplice consiste à traîner éternellement un fagot sur son dos.