La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

vendredi 30 décembre 2011

POST 100 [43° 50' 16'' N | 4° 21' 39'' E]

Le blog du lièvre lunaire
né le 21 mars 2010
a 21 mois d'existence + 10 jours
et c'est ici son 100e "post".
Avec 11 800 pages vues dans son historique,
le lièvre précieux remercie tous ses visiteurs, qu'ils soient du soir ou du matin,
fidèles ou fugitifs, du nord, du sud, de l'ouest ou de l'est.

 vue partielle du terrier

A bientôt, en 2012 !

jeudi 22 décembre 2011

Un voyage mouvementé vers la lune [Federico García Lorca, 1929]

De gauche à droite : Dali, Moreno, Bunuel, Lorca et inconnu
C’est l’histoire d’un Voyage à la Lune qui aura mis 70 ans à s’accomplir, histoire relatée en avril 1998 par Edouard Waintrop, envoyé spécial du journal Libération à Barcelone, à l’issue d’une rencontre avec l’artiste peintre et décorateur Frederic Amat, dans le cadre du centenaire de la naissance du poète Federico García Lorca.

Contrairement à l’écrivain madrilène Ramón Gómez de la Serna, pour qui la lune est joueuse, fantasque, assure une présence stimulante, celle de l’andalou García Lorca est triste, coupante, funèbre, elle est de sang et de cendre, "toute couronnée d’ajoncs" et "danse sur la Grand-Place aux Morts" (Six poèmes galiciens, 1931), la lune est menteuse « avec sa bouche de serpent qui travaille avant que l’aube naisse » (Divan du Tamarit, 1940), elle porte un "gant de fumée" et se tient "assise à la porte de ses éboulements" (Un poète à New York, 1930). Dans Romancero gitano, elle est également marquée de duplicité, "lubrique et pure", avec des "seins d’étain" froids et durs.

Ce Voyage à la lune est l'unique scénario de Lorca. Il l'a écrit en réponse au Chien andalou, car il était très en colère quand le film est sorti à Paris en 1929. Selon Amat, l’écrivain aurait déclaré à ceux qui l’entouraient : " C'est une petite merde ", en ajoutant cette plainte : " Le chien andalou, c'est moi. "

C’est l’histoire parallèle de trois compagnons, l’Andalou, l’Aragonais et le Castillan — qui du Bon, de la Brute et du Truand ? — qui se rencontrent au début des années 1920 à Madrid. Ce trio est composé respectivement de Federico García Lorca (né en 1898), de Luis Buñuel (né en 1900) et de Salvador Dali (né en 1904) qui seront pendant ces brèves années les trois meilleurs amis du monde.

Ils échangent des rêves, lisent, débattent, voient des films, font la fête. L'aîné, Lorca, se demande encore s'il va devenir musicien, écrire des poèmes ou du théâtre. Le plus jeune, Dali, sait déjà qu'il sera peintre. Premier arrivé à Madrid, Luis Buñuel n'a pas encore décidé de ce qu'il allait faire de sa vie.

Buñuel et Lorca sont les deux pôles les plus magnétiques de ce triangle. Ils font partie tous les deux de L’Ordre de Tolède, fondé en 1923. Comme Buñuel le raconte dans ses souvenirs (Mon dernier soupir, écrit en collaboration avec Jean-Claude Carrière, Ramsay Poche Cinéma), la décision de fonder cet ordre lui est venue après une vision provoquée par l'absorption d'alcool. Cette vision lui est apparue en pénétrant dans une cathédrale gothique où "il entendit des milliers d'oiseaux et quelque chose lui dire de rentrer aux Carmélites, non pas pour devenir moine, mais pour voler la caisse du couvent". Le but principal de l'ordre était de se rendre le plus souvent possible à Tolède, ville considérée comme sainte par ses membres, de manger et de boire plus de que raison, pour ensuite déambuler dans les rues de la ville et "se mettre en état d'y recevoir les expériences les plus inoubliables". Chaque membre devait verser dix pesetas à la caisse commune, en d'autres termes dans la poche du fondateur, Buñuel, qui avait pris le titre de Connétable.

Lorca, le brun homosexuel, entretient cependant une relation passionnée avec Dali (ferveur qu’on retrouve dans son Ode à Salvador Dali écrite en 1926), mais ce dernier se borne à des liens amicaux et artistiques. Quant à Buñuel, premier arrivé à Madrid, il est aussi le premier à en partir. Il s’est d’ailleurs détaché de Lorca, dont il dit ne pas aimer les poèmes (il est de plus homophobe). À Paris, l’Aragonais débute dans le cinéma, comme assistant de Jean Epstein. À son tour, après avoir été exclu des Beaux-Arts en 1926, Dali quitte Madrid pour Paris, où il retrouve Buñuel, qui veut diriger son propre film. Les deux amis réunis travaillent alors sur ce qui deviendra Le chien andalou, œuvre marquante de l’histoire du cinéma :

Ce film devait d’abord s’appeler Il est dangereux de se pencher au dedans et rassembler un grand nombre d'images et de figures sur lesquelles, avec Lorca, ils ont déliré à Madrid. Ainsi y verra-t-on l'âne putrescent que l'on trouve déjà dans Le miel est plus doux que le sang, une peinture du Dali de 1927, avant de le retrouver ici coincé dans un piano : cette figure est liée à une polémique contre le symbolisme espagnol, qualifié alors d'âne pourri par Buñuel. La main coupée, le démarquage de la Liseuse de Vermeer ou les fourmis sont d'autres icônes imaginées à l'époque du trio madrilène.

À Paris, Dali et Buñuel se rapprochent des surréalistes et le 6 juin 1929, au studio des Ursulines, une projection du Chien andalou a lieu en présence de Picasso, Le Corbusier, Ernst, Cocteau, Breton, Magritte, Eluard, Aragon, Man Ray, Tzara, Tanguy, Char. Lorca se rappelle que les trois amis aimaient se qualifier de chien entre eux. Et que, dans le trio, le chien andalou, c'était lui (Buñuel a toujours dit que le titre n'avait rien à voir avec Lorca).

Emilio Amero
Quand il débarque, le 26 juin aux États-Unis, "Lorca était donc sûr d'être le chien andalou", celui "qui est encore plus étrange qu'un chien vert", explique Amat. A New York, il s'est mis à écrire un script en réponse à ses deux anciens amis. Le cinéma était l'art de l'époque. Lorca était aussi cinglé de cinéma, fou de Chaplin et de Buster Keaton, d'Eisenstein et de Poudovkine. Il écrit son scénario du Voyage en deux jours et le fait lire à Emilio Amero, un peintre et cinéaste d'avant-garde mexicain à qui il pense confier la mise en scène. Le caractère évidemment sexuel et sacrilège du film ne pose aucun problème à ce dernier. Il travaille à la préparation du film, qui ne sera jamais tourné.

Lorca sera fusillé six ans plus tard, dans les premières journées de la guerre civile, par les franquistes. A ce moment-là, Amero est l’unique détenteur du scénario dont on tirera une version anglaise, la seule connue pendant longtemps. Après avoir perdu toute trace du texte original de Viaje a la luna, celui-ci est découvert en 1989 en Oklahoma. La Bibliothèque nationale espagnole acquiert tout de suite le manuscrit. Quelques années et embrouilles plus tard, le film existe et c'est celui d'Amat, reconnu et estampillé autorisé par la Fondation Garcia Lorca.

Assis sur le sol, Amat étale ses dessins, un lit blanc qui se couvre de chiffres, des 1 et des 2, qui, au dessin suivant, se transforment en fourmis. Le tournage de ce court-métrage muet (une vingtaine de minutes) s'est déroulé fin mars-début avril à Barcelone (on ne sait pas encore quand il sera visible, ni où). Sur une musique du Français Pascal Comelade, avec la ballerine Marta Carrasco, le chorégraphe Cesc Gelabert et le montreur de marionnettes Joan Baixas. Le peintre sourit: "J'ai demandé la lune et je l'ai obtenue".

 Le Voyage vers la lune est un film en 72 scènes poétiques, avec toute une batterie de fondus enchaînés, de surimpressions, de passage du positif au négatif, qui sont bien de cette époque d'expérimentations audacieuses. A première vue, c'est un film surréaliste mais, en fait, intriquée dans le scénario, il y a une dimension biographique. Le surréalisme n'est ici qu'un langage que l'artiste utilise pour s'exprimer. Derrière ces images fulgurantes, il y a l'affrontement de Lorca avec son homosexualité. Et puis une méditation sur la mort.

Extrait du film Viaje a la luna de Frederic Amat, d'après F. Garcia Lorca

jeudi 15 décembre 2011

Lapin-délice : hommage à Roland Topor

Retour sur image. Votre lièvre précieux suit ses lunes gibbeuses et acidulées : faisant le tri sélectif de son courriel quotidien, il a promis de faire figurer ici, en réponse à l’envoi de l'image pieuse ci-jointe, l’expression ravissante de son amie Lynda du "lapin-délice d’Alice qui part en sucettes", expression qui aurait sans doute amusé le Roland furieux répondant au nom de Topor, artiste multi-cartes, auteur de textes incongrus et d’images pas sages. Furieux, non dans le sens colérique du personnage légendaire de l’Arioste, mais pour qualifier une activité artistique débridée, hétéroclite, à l’effet panique (du mouvement "anti-mouvement" du même nom, en référence au dieu Pan, qu’il créa en compagnie d’autres individus sérieux-non-sérieux comme Fernando Arrabal et Alexandro Jodorowsky en 1962). Topor avait une faim peu commune (et mille poires pour sa soif), pourvu d’un rire hénaurme, assumant joyeusement ses excès de fables et défauts de correction ; il fut l’un de ces "ogredins" polymorphe à l’humour rose et noir agrémenté de nombreuses épices, mêlant son grain de folie à quantité de sauces, puisqu’il fut tour à tour (et simultanément) peintre, illustrateur, dessinateur, écrivain, poète, metteur en scène, chansonnier, acteur, cinéaste… Un éclectisme toujours suspect aux yeux des puristes, qui bien souvent accusent ce genre de touche-à-tout de dilettantisme. Roland Topor se moquait bien de cet aspect frigoliste, se moquant d’abord de lui-même, endossant volontiers le rôle du moqueur moqué. Son rire hénaurme et son esprit prompt à la déconnade laissent parfois percer des accents graves de clown triste, voire cafardeux.

Issu d’une famille juive polonaise ayant fui l’occupant nazi (Abram Topor, le père, était lui-même artiste peintre avant de devenir maroquinier pour nourrir sa famille), le fils Roland naît en 1938. Il étudie aux Beaux-arts de Paris, commence à publier ses dessins en 1960 puis romans et nouvelles à partir de 1964. Son premier livre, Le locataire chimérique (récemment réédité chez Phébus), sera magistralement adapté au cinéma en 1976 par Roman Polanski (qui joue le rôle du personnage principal).

Dans les années 70, Topor s’intéresse au cinéma d’animation et travaille avec René Laloux sur plusieurs courts métrages puis sur La planète sauvage, long métrage qui reçut le Prix spécial du jury à Cannes en 1973. Il collabore également au Casanova de Fellini, réalisant les images projetées pendant la séquence de la "lanterne magique".


Avec le réalisateur belge Henri Xhonneux, il travaille sur la série pour enfants Téléchat en 1983 (234 épisodes seront tournés) puis avec le même réalisateur, pour le bicentenaire de la Révolution, ce sera un film-hommage à Sade, Marquis en 1988 (avec des acteurs en masques, aux figures animales), froidement accueilli à sa sortie, mais devenu depuis un objet de culte. Film audacieux, singulier, servi par une grande qualité esthétique, qui fait dialoguer le marquis de Sade avec son sexe appelé Colin…

Roland Topor affronte tous les genres, alternant œuvres personnelles et collectives ; à la télévision, avec la complicité notable de Jean-Michel Ribes pour la série à sketches Palace en 1988 ; au théâtre, pour des pièces que lui-même écrit (L’hiver sous la table, créée en septembre 1994 au Nationaltheater de Mannheim, en Allemagne), qu’il dirige (adaptation de Ubu roi pour le Théâtre national de Chaillot en 1992) et bien d’autres spectacles auxquels il contribue.

On lui doit également une remarquable illustration de Pinocchio, pour deux éditions, italienne et allemande. L’album a été réédité par Autrement en 2008.

Roland Topor meurt en 1997 d’un accident cardio-vasculaire. Il est enterré au cimetière du Montparnasse, quatorzième division. Il fut nommé à titre posthume "satrape" du Collège de ‘Pataphysique.

jeudi 1 décembre 2011

Le chat-lune [Cattus luminosus]

Pareil à une comète, le chat-lune surgit parfois d’un bond, du fond de l’horizon. Nul ne sait quand exactement. Le plus souvent, malgré sa taille phénoménale, le chat-lune reste invisible, dormant sans doute dans un repli de l’espace, tétant le lait de quelque sphère nourricière. Cet animal extravagant, tapi dans l’ombre des planètes, passe évidemment pour une invention d’astrologue ou un caprice de poète.

La cause serait approuvée si, à l’occasion d’une nuit sans voile, répondant à un appel mystérieux, votre fidèle félidé — minette ou minou — ne se mettait à miauler de façon étrange et insistante, interrompant votre sommeil. D’un pas somnambulique, vous ouvrez la fenêtre pour le congédier. Cependant, tandis que votre animal de compagnie a subitement terminé sa sérénade, comme statufié, vous percevez une vibration sonore, un lointain ronronnement… Levant la tête, vous constatez que le ciel est baigné d’une lumière inhabituelle, à la fois douce et intense, qu’il brille en vérité d’un improbable « ensoluneillement ».

Regardez bien, observez mieux, scrutez encore… Vous distinguez alors deux grands yeux puis une longue queue onduleuse qui s’entrelace autour de la voie lactée. Des étoiles filantes, en traits successifs, dessinent l’orbe de ses moustaches : le chat-lune est là, et à la faveur d’un magnifique étirement, voilà qu’il éclaire tous les continents, guide les bateaux sur les océans, du Grand Nord au Pôle Sud, des confins de l’Ouest jusqu’en Extrême-Orient.

Vous restez là, ébahi, un peu tremblant, ébloui par la beauté du spectacle et l’ampleur de votre découverte…

Extrait de Zazoo - bestiaire fabuleux, Rémy Leboissetier (texte + illustration)