La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

vendredi 29 juillet 2011

Le lapin agile

Jusqu’à la première guerre mondiale, le haut du quartier de Montmartre familièrement appelé la "Butte" est encore un village, une zone qui demeure à l’écart de la cité parisienne. Au tournant des XIXe et XXe siècles, de nombreux artistes s’installent sur ce territoire "fameux pour son air pur, ses moulins et ses logements à bas prix", qui va devenir un lieu important de croisements, de rencontres, de brassages et télescopages, où vont se distinguer nombre de personnalités singulières, animées par un esprit de liberté pour une bonne part libertaire, gens de la bohème glorieuse autant que misérable, adoptant un mode de vie peu conforme aux conventions sociales, que la "Grande Guerre" réduira en miettes. Durant les trente à quarante années qui précèdent, ce lieu aura connu une période de vive émulation mais aussi de rude confrontation : rétrospectivement, on peut le définir comme un point-climax, un moment de bascule entre le monde ancien, esprit "fin de siècle", et le monde moderne, d’où vont émerger les principaux mouvements d’avant-garde artistique, deux mondes qui se regardent en curieux, aussi tendres que féroces l’un envers l’autre. Le cabaret du Lapin agile fut l’un des principaux foyers de cette période de liberté inconditionnelle, fumiste et cubiste, mystique et païenne, cosmopolite et gauloise, traversée d’éclairs de génie et de folie...

Du Rendez-vous des voleurs au Cabaret des Assassins

Construit en 1795, le bâtiment qui allait devenir le Lapin agile s’ouvre au public en 1860 sous l’enseigne mercurielle Au rendez-vous des voleurs : c’est une auberge de rouliers (anciens transporteurs de marchandises) qui prend en 1869 le nom de Cabaret des Assassins (on y trouve à l’intérieur des gravures représentant des assassins célèbres, de Ravaillac à Troppmann, guillotiné en 1870…)
C’est ensuite l’insurrection de la Commune de Paris, de mars à mai 1871, dont la répression aurait fait environ 20000 victimes, fusillées sans jugement... Sans compter les nombreuses déportations qui s’ensuivirent.

Le Lapin à Gill

Entre 1879 et 1880, le propriétaire de l’époque confie au caricaturiste et chansonnier André Gill (de son vrai nom Louis-Alexandre Gosset de Guines, né en 1840) la réalisation d’une enseigne, celle du fameux lapin échappant fièrement à la casserole. Le cabaret est alors appelé le Lapin à Gill, bientôt transformé en Lapin agile. Ancien Communard ayant échappé à la répression, André Gill avait fait partie en 1871 du Cercle des poètes Zutiques ou Zutistes, avec Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Charles Cros, et mourra en 1885, après quatre années d’internement à l’asile de Charenton.
En septembre 1883, Jules Jouy (qui meurt également fou à 42 ans), poète et chansonnier montmartrois, membre du Cercle des Hydropathes fondé par Émile Goudeau, fonde le banquet-goguette La soupe et le le bœuf, dîner hebdomadaire qui réunit au cabaret ses amis peintres et poètes du Chat noir.

À ma campagne

Racheté en 1886 par une ancienne danseuse de cancan, Adèle Lecerf (surnommée "La mère Adèle"), celle-ci en fait un café-restaurant-concert baptisé à ma campagne, que fréquentent en journée les habitués du Chat noir (Charles Cros, Alphonse Allais, Jehan Rictus, etc.) Le chansonnier Aristide Bruant, autre fidèle des lieux, y amène Toulouse-Lautrec, Courteline… Des concerts d’amateurs y sont organisés.

Frédé

Au début du XXe siècle, la Mère Adèle revend le cabaret à Berthe Sébource, qui s’y installe en compagnie de sa fille, Marguerite Luc (surnommée Margot, future épouse de Pierre Mac Orlan). Elles sont rejointes en 1903 par Frédéric Gérard (1860-1938) dit le Père Frédé, grâce à qui le Lapin agile va devenir un lieu incontournable de la bohème artistique montmartroise. Frédéric Gérard avait longtemps arpenté les trottoirs montmartrois en qualité de vendeur de produits des quatre saisons, en compagnie de son âne Lolo. Lorsqu'il s’installe au Lapin Agile, il amène avec lui sa ménagerie (chien, chèvre, corbeau, singe et souris blanches, ainsi que son âne, avec lequel il vend du poisson dans les rues de Montmartre, afin de compléter ses revenus).

Figure pittoresque de la vie montmartroise, croisement improbable entre Robinson Crusoé, le trappeur de l'Alaska et le bandit calabrais, Frédé chantait des romances sentimentales ou des chansons réalistes en s'accompagnant au violoncelle ou à la guitare, dont il jouait avec un talent qui ne faisait pas l'unanimité. Surtout, il n'hésitait pas à offrir des repas et des boissons dans son cabaret aux artistes désargentés, en échange d'une chanson, d'un tableau ou d'un poème.
On trouve, aux côtés de montmartrois comme Roland Dorgelès ou Maurice Utrillo, de jeunes inconnus, des poètes comme Max Jacob, André Salmon, Paul Fort, Apollinaire et des peintres comme Picasso, Braque, Derain, Modigliani

En 1905, Picasso offrit un tableau à Frédé connu sous le titre Au Lapin Agile. Il représente l’intérieur du cabaret avec Frédé à la guitare et l’autoportrait de l’artiste en Arlequin. En 1912, le Père Frédé se sépare de la toile pour une somme dérisoire, laquelle sera vendue aux enchères à New York à la fin des années 80 pour plus de quarante millions de dollars.

L'acteur Charles Dullin y fait ses débuts en 1902, avec des récitations hallucinées de poèmes de Baudelaire, Villon, Corbière ou Laforgue. Mais les artistes ne sont pas seuls à fréquenter le Lapin Agile : ils côtoient des anarchistes du Libertaire, avec lesquels la cohabitation est parfois tendue, et surtout des criminels venus du Bas Montmartre et du quartier de la Goutte d’or. Francis Carco, débarqué au Lapin Agile durant l'hiver 1910-1911, se souvient ainsi des "petites filles et des rôdeurs qui chérissaient la poésie" fraternisant avec les "clients ordinaires" et leur offrant à boire, mais qui, "d'autres fois, pénétrant au Lapin par surprise [...] avaient décidé de corriger leurs femmes et brandissaient des rasoirs effilés, semant la terreur autour d'eux"
 
La tension devint plus vive encore à partir du moment où Frédéric Gérard, qui "voulait créer une clientèle d'artistes" décida, "pour la paix de ceux-ci", de chasser cette clientèle indésirable : "ces Messieurs dont Frédéric n'aimait pas la présence chez lui, entendaient être de la fête", explique Francis Carco, et certaines nuits, des coups de revolver furent tirées de l'extérieur à travers les carreaux du cabaret. Dans son roman Le Château des brouillards, Roland Dorgelès mentionne ces incidents comme se produisant "de temps en temps", sans surprendre personne ("la police ne se déplaçait même pas"). La violence devait atteindre son paroxysme en 1910, lorsque l'un des fils de Frédéric Gérard, Victor (Totor), fut abattu d'une balle dans la tête derrière le bar.

Le coucher de soleil sur l’Adriatique

D’autres tensions moins violentes existaient au sein de la clientèle fréquentant l'établissement : "l'antagonisme régnait entre les artistes d'avant-garde, désignés sous l'appellation méprisante de bande à Picasso et les traditionalistes réunis autour de Dorgelès, adversaires de la peinture abstraite. C'est ce dernier qui, en 1910, met au point un canular resté célèbre : le coucher de soleil sur l'Adriatique, toile attribuée à un artiste italien jusque-là inconnu, Joachim-Raphaël Boronali (anagramme d’Aliboron, probablement formé à partir du paradoxe de l’âne de Buridan, concernant le déterminisme moral), artiste par ailleurs théoricien d'un nouveau mouvement artistique : l'excessivisme.

En réalité, le Manifeste de l'excessivisme a été rédigé par Dorgelès, et le tableau est de... Lolo, l'âne de Frédé, à la queue duquel Dorgelès, assisté d’André Warnod et de Jules Depaquit a attaché un pinceau ! Révélant la supercherie (constat d'huissier à l'appui), Roland Dorgelès explique dans un journal satirique qu'il a voulu "montrer aux niais, aux incapables et aux vaniteux qui encombrent une trop grande partie de cette exposition (Le salon des Indépendants), que l'œuvre d'un âne, brossée à grands coups de queue, n'est pas déplacée parmi leurs œuvres".
La supercherie eut un succès énorme et le tableau fut vendu un bon prix. Ce canular appartient à une tradition typiquement montmartroise : la fumisterie, qui consistait en l'élaboration "de farces complexes, rehaussées par un surprenant déploiement de fantaisie et de jeux de mots éblouissants", pratique qui fait le lien entre les humoristes des cabarets et l'avant-garde des années 1900.

Jusqu'au mois d'août 1914, écrit Pierre Mac Orlan, le Lapin vécut une vie dont l'indépendance était l'image même de Montmartre, où tout le monde échappait à des disciplines sociales qui, pourtant, n'étaient pas sévères. Les habitants de Montmartre savaient se créer une image assez exacte du bonheur dans l'interprétation la plus large de la loi.

samedi 23 juillet 2011

Louis de Gonzague Frick [1883-1959]

Poète, Dandy, grand ami d’Apollinaire (ils se sont connus au collège St Charles à Monaco), Louis de Gonzague Frick se passionne pour l’occultisme, l’alchimie... Il participe aux mouvements d’avant-garde : symbolisme, cubisme, orphisme… et fonde, par jeu, un mouvement, le Lunanisme et son école poétique du Lunain. On lui doit aussi un groupuscule éphémère, le Druidisme dont il était à la fois le prêtre et le fidèle.
Il participa à de nombreuses revues, La Phalange, L’Intransigeant, Comoedia, et soutint certains membres du Surréalisme, notamment Robert Desnos. Son nom apparaît dans La Révolution surréaliste en réponse à l’enquête sur l’amour (N°12, décembre 1929).
Il servit de modèle à Roland Dorgelès pour le personnage de Crécy-Gonzalve dans son roman Le cabaret de la Belle-Femme et apparaît dans le film de Jean Vigo, Zéro de conduite (1933).

Ses ouvrages publiés :

Trèfle à quatre feuilles, 1915
Sous le Bélier de Mars, 1916
Girandes, 1919
Poetica, 1929 (ce volume réunit les trois recueils de poèmes précédents, augmentés de quelques inédits)
Vibones, 1932 (avec une eau-forte de Jacques Villon)
Ingrès, 1935
Quantité discrète, 1946 (34 poèmes inédits)
Abrupta Nubes, 1955 (cédule de Max Jacob, préface de Pierre Mac Orlan)
Statures lyriques, 1955
Oddiaphanies, 1956 (préface de Jean Cocteau)

mercredi 20 juillet 2011

Les lièvres du "petit Pisan"


Pisanello (Pise, vers 1395 - Rome, vers 1455), de son vrai nom Antonio di Puccio Pisano est un peintre, médailleur et miniaturiste de la Renaissance italienne et du Quattrocento, dernier représentant du style gothique international.


 

mardi 12 juillet 2011

Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée, Guillaume Apollinaire [extraits]

Les poèmes du Bestiaire illustrés de bois gravés de Raoul Dufy furent publiés en 1911.
Cette œuvre est aujourd’hui disponible en diverses éditions, notamment associée au recueil "Alcools" de la collection NRF Poésie/Gallimard.

 
LE LIÈVRE

Ne sois pas lascif et peureux
Comme le lièvre et l’amoureux
Mais que toujours ton cerveau soit
La hase pleine qui conçoit.




 
 LE LAPIN

Je connais un autre connin
Que tout vivant je voudrais prendre
Sa garenne est parmi le thym
Des vallons du pays de Tendre.

vendredi 8 juillet 2011

La femme dans la lune 1 : Chang’e [Chine]

Chang’e, Chang-O, Chang-Ngo ou Sheung Ngo est la déesse chinoise de la lune. Contrairement à beaucoup d’autres divinités qui incarnent la Lune, Chang’e vit vraiment sur l’astre. En tant que "femme dans la lune", Chang’e peut être considérée comme le pendant de la légende occidentale de "l’homme dans la lune". Le premier satellite chinois d’observation lunaire, lancé en octobre 2007, a été nommé Chang’e 1.

 

  Chang'e et l’archer Houyi (version 1)


Selon la légende, Chang’e et son mari Houyi étaient des êtres immortels vivant au Paradis. Un jour, les dix fils de l’Empereur de Jade se transformèrent en dix soleils, projetant une chaleur insoutenable sur la terre. N’étant pas parvenu à ordonner à ses fils d’arrêter ce désastre, l’Empereur convoqua Houyi pour lui demander son aide. Houyi, archer talentueux, abattit neuf des fils, mais épargna l’un d’eux. L’Empereur de Jade était évidemment mécontent du résultat : neuf de ses fils étaient morts. En punition, Houyi et Chang’e furent bannis de leur Paradis et durent vivre sur terre comme de simples mortels.
Voyant que Chang’e était tombée dans un état de grande misère après la perte de son immortalité, Houyi s’engagea jour après jour dans une quête périlleuse pour trouver un élixir qui pourrait leur faire retrouver l’immortalité. À la fin de cette quête, il rencontra la Reine mère de l’Ouest qui consentit à lui fournir le remède, en l’avertissant que chaque personne n’avait besoin que de la moitié de celui-ci pour accéder à l’immortalité. Houyi rapporta la pilule à la maison et la rangea dans une boîte. Il mit en garde Chang’e de ne pas ouvrir celle-ci puis quitta le domicile pour un moment, mais Chang’e était trop curieuse : elle ouvrit la boîte et trouva la pilule, juste au moment où Houyi rentrait. Dans la crainte de se faire surprendre en plein délit, elle avala entièrement la pilule. Elle commença alors à flotter dans les airs. Bien que Houyi cherchait à l’atteindre pour l’empêcher de s’élever plus loin, il ne pouvait diriger la visée de sa flèche sur elle. Ainsi, Chang’e continua de flotter jusqu’à atteindre la lune.
Alors qu’elle était sur la Lune, séparée de son mari, Chang’e eut de la compagnie. Un lièvre de jade, qui préparait des élixirs, vivait aussi sur la lune (les mythologies du Japon et de la Corée font aussi référence à des lapins vivant sur la lune). Il y avait aussi la présence d’un bûcheron nommé Wu Gang. Le bûcheron avait offensé les dieux pour avoir voulu les défier en devenant immortel et il avait été lui aussi exilé sur la lune. Wu Gang était autorisé à quitter la lune s’il parvenait à abattre un arbre qui poussait sur la lune. Le problème, c’est qu’à chaque fois qu’il voulait agripper l’arbre, celui-ci se rétractait instantanément dans le sol, condamnant Wu Gang à vivre sur la lune pour l’éternité.
 

Chang'e et l’archer Houyi (version 2)



Chang’e était une belle jeune femme travaillant dans le Palais de l’Empereur de Jade, au Paradis, où vivaient des dieux, des fées et d’autres saintes personnes. Un jour, elle cassa par maladresse une précieux pot de porcelaine. L’Empereur en colère ordonna le bannissement de Chang’e, qui dut s’exiler sur terre et partager la vie des mortels. Elle était toutefois autorisée à revenir au Paradis, mais à condition qu’elle ait contribué à rendre un grand service sur Terre. Chang’e, parmi les humains, fut intégrée à une riche communauté de fermiers.
Quand elle eut dix-huit ans, un jeune chasseur d’un village voisin, nommé Houyi, la découvrit. Ils devinrent amis. Un jour, un curieux phénomène se produisit : dix soleils surgirent dans le ciel, faisant brûler la terre. Houyi, archer très habile, s’avança et réussit à crever neuf de ces astres à l’aide de ses flèches. Devenant aussitôt un héros, il fut nommé roi et se maria avec Chang’e. Mais par la suite, Houyi se montra avide et égoïste. Il ordonna qu’on prépare pour lui seul un élixir d’immortalité. Cet élixir fut préparé, sous la forme d’une pilule, lorsque Chang’e se disputa avec Houyi. Accidentellement ou volontairement, elle avala la pilule. En colère, le roi menaça sa femme. Voulant s’échapper, elle enjamba la fenêtre de sa chambre située en haut du palais et, au lieu de tomber, elle flotta dans le ciel en direction de la Lune. Le roi Houyi essaya de l’atteindre avec ses flèches, sans y parvenir. Contrairement à la première version, son compagnon, le lapin, ne prépare pas d’élixir de vie. À part le lapin, la Lune est également habitée par un bûcheron qui tente de couper un cannelier, arbre d’immortalité. Mais, aussi vite qu’il entaille l’arbre, aussi vite l’arbre guérit de ses blessures, et l’homme ne fait ainsi aucun progrès, s'épuisant à une tâche perpétuelle.