La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

samedi 15 juin 2013

L'éléphant dans la lune [Samuel Butler, Jean de la Fontaine]

Le point de départ de la fable « Un animal dans la lune » de Jean de la Fontaine semble être « Elephant in the moon », un poème satirique de l'écrivain anglais Samuel Butler (1612-1680), dans lequel la Société royale de Londres (une académie des sciences, fondée en 1660) était ridiculisée.
La Fontaine avait certainement eu connaissance de ce poème, non encore publié (il ne le sera qu'en 1759), par ses amis de Londres, parmi lesquels St Evremond.
Mon âme en toute occasion
Développe le vrai caché sous l'apparence.
           Je ne suis point d'intelligence
Avecque mes regards peut-être un peu trop prompts,
Ni mon oreille lente à m'apporter les sons.
Quand l'eau courbe un bâton,  ma raison le redresse,
            La raison décide en maîtresse.
            Mes yeux, moyennant ce secours,
Ne me trompent jamais, en me mentant toujours.
Si je crois leur rapport, erreur assez commune,
Une tête de femme est au corps de la lune.
Y peut-elle être ? Non. D'où vient donc cet objet ?
Quelques lieux inégaux font de loin cet effet.
La Lune nulle part n'a sa surface unie :
Montueuse en des lieux, en d'autres aplanie,
L'ombre avec la lumière y peut tracer souvent,
            Un homme, un bœuf, un éléphant.
Naguère l'Angleterre y vit chose pareille,
La lunette placée, un animal nouveau
            Parut dans cet astre si beau ;
            Et chacun de crier merveille.
Il était arrivé là-haut un changement
Qui présageait sans doute un grand événement.
Savait-on si la guerre entre tant de puissances
N'en était point l'effet ? Le Monarque accourut :
Il favorise en Roi ces hautes connaissances.
Le Monstre dans la Lune à son tour lui parut.
C'était une Souris cachée entre les verres :
Dans la lunette était la source de ces guerres. 
 
Un animal de la lune, Jean de la Fontaine (extrait)
illustrations de Gustave Doré

dimanche 9 juin 2013

La môle ou le poisson-lune

La môle (Mola mola), appelée aussi poisson lune, est l'une des plus lourdes espèces de poisson, sa masse moyenne atteignant les 1 000 kilogrammes. On la trouve dans les eaux tropicales et tempérées tout autour du monde. C'est un animal à la tête proéminente, sans queue, qui, nageoires comprises, peut être aussi haute que longue.

La forme de sa nageoire caudale lui donne son allure si particulière. C'est un poisson plat dans la largeur, ovoïde vu de face. Les nageoires pectorales sont petites par rapport aux nageoires dorsale et anale. La longueur de ces dernières peut presque doubler la hauteur de la môle. La môle a une longueur moyenne de 1,80 mètre et une masse moyenne de 1 000 kg. On a cependant capturé certains spécimens mesurant jusqu'à 3,30 mètres et pesant 2 300 kg. Un spécimen énorme de 1 tonne et demie fut pêché en 1910, comme le montre la photo jointe.

La plupart des noms de la môle se rapporte à sa forme particulière. Le terme « môle » dérive probablement du latin mola qui désigne une « meule » ou une grosse pierre. Cette espèce devrait donc son nom à sa couleur grise, sa texture rugueuse et son corps rond. Un autre nom courant de la môle, relatif à sa forme ronde, est « poisson lune », terme que l'on retrouve en italien (pesce luna), espagnol (pez luna), en portugais (Peixe-lua), en allemand (Mondfisch).

La môle prend régulièrement des bains de soleil à la surface de l'eau, d'où son nom anglais de ocean sunfish. Les Taïwanais en parlent parfois comme le « poisson voiture renversée » parce que la môle est penchée quand elle prend des bains de soleil. Dans le comté d'Hualien, à Taïwan, dont la mascotte officielle est la môle, on l'appelle « poisson mambo » en référence aux mouvements du poisson lorsqu'il nage, rappelant le mambo.


La môle se nourrit principalement de méduses qu'elle consomme en grandes quantités en raison de leur faible valeur nutritionnelle. Les femelles pondent plus d'œufs que n'importe quel autre vertébré connu. Le fretin de môle ressemble à un petit poisson-hérisson. Il possède de grandes nageoires pectorales et caudale. Son corps est recouvert d'épines qui disparaissent à l'âge adulte.

Les môles sont fréquemment prises au piège des filets de pêche. Elles représentent même 30 % du total des prises lors de la pêche au filet de traîne de l'espadon en Californie. Ce pourcentage monte entre 71 % et 90 % pour la pêche de l'espadon en Méditerranée. La pêche à la môle n'est réglementée nulle part dans le monde. Dans certains endroits, les pêcheurs leur coupent les nageoires car ils les considèrent comme des voleurs de prises potentielles, ce qui entraîne leur mort.

Les môles adultes ont peu de prédateurs, si ce n'est les lions de mer, les orques ou les requins. L'homme, dans certaines parties du monde, la considère comme un mets délicat comme au Japon ou à Taïwan mais la commercialisation de sa chair est interdite dans l'Union européenne. Elle se retrouve fréquemment, par accident, prise dans des filets. Il lui arrive aussi de consommer par erreur des déchets flottants, comme des gobelets en plastiques, qui peuvent entraîner sa mort. Les môles sont également menacées par les déchets flottants tels que les sacs plastiques qui ressemblent aux méduses, leur aliment principal.

La méduse bleue ou méduse lune (Aurelia Aurita)
 La première môle en aquarium des États-Unis est arrivée en août 1986 à l'aquarium de la baie de Monterey. Comme il s'agissait de la première captivité de si grande ampleur à l'époque, l'équipe de l'aquarium fut contrainte d'innover en créant ses propres méthodes de capture, d'alimentation et de contrôle des parasites. En 1998, l'aquarium parvint à conserver un spécimen pendant plus d'un an avant de le relâcher, car son poids avait été multiplié par quatorze.

Môle à l'Aquarium de Monterey - Californie

lundi 3 juin 2013

BULLORAMA / UNE SCIENCE DE L'ÉCLAT [Simon Schaffer]

« L'image n'est pas une quelconque idée exprimée par le réalisateur, mais tout un monde miroité dans une goutte d'eau. »
Andreï Tarkovski

"Le développement au XIXe siècle de nouveaux appareils, qui restituaient l’impression de mouvement à partir d’images fixes, fut largement dû au travail de physiciens qui s’intéressaient à des bulles…/… Les physiciens cherchaient à faire de grandes bulles stables et bien visibles à partir de lessives..."
Les bulles de savon allaient être à l’optique ce que les pommes étaient censées être pour les lois de la gravitation.
C’est ainsi que dans les années 1890, les scientifiques commencèrent à concevoir des machines susceptibles de reproduire le transitoire et de capturer la cinématique des gouttes et des films de savon dans toute leur versalité.

Dès 1825, John Paris, un vulgarisateur scientifique londonien, adjoignit un « thaumatrope » à son travail sur les bulles de savon…
Mais le protagoniste le plus important de la cinématographie des bulles de savon et des gouttes liquides dans les années 1890 fut le physicien Charles Vernon Boys (dont l’élève le plus célèbre fut Herbert George Wells). Boys s’intéressait aussi bien à la physique des toiles d’araignée qu’à celle de l’équilibre en bicyclette…
Alfred Jarry dédie le chapitre VI du livre premier de Faustroll à Boys et nous rappellerons que le héros du livre se déplace en bateau, et que la conception de ce bateau utilise la théorie de Boys : le crible, passoire géante de 12 mètres de long, est en effet construit de façon à flotter par capillarité, grâce à un film de 250 000 gouttes d’huile de ricin...

Boys affina les mécanismes pour expliquer la tension de surface, la capillarité et les principes
optiques des anneaux colorés : ses bulles entraient en contact ou passaient les unes à travers les autres sans éclater, de façon quasi miraculeuse. Ce qui impressionnait surtout son assistance était son usage des machines à faire des images pour démontrer la cinématique des bulles et des gouttes. », à tel point que ses étudiants le considéraient « comme un prestidigitateur.
Boys citait dans ses conférences le fameux vers d’Edward Lear sur les marins "qui partirent en mer sur une passoire". La tension de surface d’un film de savon recouvrant un treillis en fil de fer pouvait effectivement constituer, selon lui, une pellicule qui permettrait de flotter à une passoire si elle était assez large et que la mer était suffisamment clémente...
Robert Paul, un ingénieur électrique, fit équipe avec Wells, ancien étudiant de Boys, pour breveter « une nouvelle forme de spectacle où l’on présente des scènes qui sont censées se dérouler dans l’avenir ou le passé, leur donnant ainsi la sensation d’utiliser une machine à voyager dans le temps...
Le peintre Stanley Spencer
L’animatographe de Robert Paul constitua une étape importante dans la commercialisation du cinéma pour le grand public.
Alfred Jarry avait dévoré les travaux de Boys sur les bulles de savon mais aussi ceux de Thomson (Lord Kelvin) sur l’éther et ceux de Wells sur les machines à remonter le temps. Il était aussi impressionné par la cinématographie et les nouvelles technologies… Collant au plus près de la science de son temps, pour développer ses propres solutions imaginaires."

UNE SCIENCE DE L'ÉCLAT
Les bulles de savon et l'art de faire de la physique à l'époque victorienne

Adolf Lins
Luigi Bechi























Chardin - 1734
Van Loo - 1750


















 
Edouard Manet




Charles Joshua Chaplin


















 
Elizabeth Gardner-Bouguereau - 1871




Edward Potthast


















 
Renard de Saint André


Franz Thone




















Jean-Etienne Liotard



Jan Lievens - 1645
















John Everett Millais







Filippo Pelagio-Palagi - 1827
















 
Thomas Couture - 1858


 
Willem Van Mieris le Jeune



















Pierre Mignard



Rembrandt



















Paul Peel
Oszcar Glatz
 
Louis Icart
Luigi Russolo





















Izis Bidermanas
Colette Calascione
Sally Mann
Mariette Patty Allen
 
Tino Luciano
Japon       

samedi 1 juin 2013

Chronique de l'homme-lapin, Alexandre Vialatte [Chroniques de la Montagne, Robert Laffont, 2001]

"Il n'est rien que la science ne sache ou n'étudie. Elle a découvert que la puce (il faut regarder les choses en face) est en perte d'intelligence. […] C'est la faute des insecticides Celles qui n'en meurent pas tout à fait restent atteintes de désordres cérébraux. […]

 
Mêmes désordres chez l'homme-lapin. Il s'abandonne, dit-on, à cent extravagances. Il danse dans les clairières, il regarde la lune, il s'habille en alligator. L'homme-lapin et l'homme-antilope sont des produits d'Afrique Centrale. Moitié homme et moitié lapin, ou alors moitié antilope ; mais moralement en grande partie (surtout pour la moitié lapin). Ce sont des hybridités de caractère folklorique, magique, religieux, ethniques, auxquelles l'Européen ne comprend pas grand-chose.
Toujours est-il, qu'en ce moment, l'homme-lapin se livrerait, selon la presse, à mille caprices déconcertants que ne sauraient expliquer ni sa nature humaine ni sa nature cuniculaire. On voit par là que les problèmes d'Afrique noire exigent beaucoup de psychologie et de grands éleveurs de lapins. Une vraie grande race d'éleveurs de lapins améliorée. Sélectionnée. Psychologique.

Nous sommes sur la bonne voie : la Gazette de Hambourg annonce que l'Association des éleveurs de lapins de Cuxhaven rejette désormais de son sein tous les célibataires : ce ne sont pas des esprits assez stables. C'est très dur pour leur amour-propre, mais c'est pour le bien du lapin. Il comprend mieux le père de famille. Il est pour la famille, et le père de famille est également pour la famille. Ou tout au moins ils l'étaient tous les deux avant d'avoir tous ces enfants qui viennent manger leur chou jusque dans leur assiette. Résumons-nous : ils ont les mêmes soucis.

Malheureusement je me méfie de cette nouvelle. Car l'Allemand ne mange pas de lapin. Aussi n'en élève-t-il jamais. Il mange de grands gros lièvres roux, qu'il fait bouillir dans une marmite en fonte. De grandes grosses cuisses de lièvre très dures qu'il assaisonne de marmelade d'airelles, ou de groseilles ; non sucrée. Ce n'est pas qu'il n'ait pas de lapins dans son pays ; au cimetière forestier de Darmstadt, on les voit sauter sur les tombes comme des puces sur un lit de pauvre homme. C'est simplement qu'il n'y tient pas. Peut-être aussi se méfie-t-il de ces lapins qui mangent du mort. Mais il en trouverait tellement d'autres ! En un mot, l'homme-lapin nous cause bien des soucis."

18 février 1958