La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

lundi 14 décembre 2015

La Lune : voyages et spéculations, Suppléments I [1010-1623]

Votre lièvre précieux, infatigable rongeur, est heureux de vous informer que son dossier d'enquête des Voyages et spéculations lunaires s'est sensiblement épaissi. S'il est permis d'aller sur l'astre par divers moyens, certains transports tels que les voyages oniriques (ou mystiques) avaient été injustement délaissés, compte tenu de leur immatérialité. Et quand on y songe, les songes... oui, les songes peuvent se révéler troublants, plus proches parfois de la réalité, d'une réalité autrement révélée que par la voie scientifique, par la seule force de l'intuition ou de l'imagination. Dans la série des "Suppléments" qui seront mis en ligne successivement, il y aura donc quelques transports de ce genre, mais aussi - et encore - des conjectures, des considérations, des allégories, des paraboles... La lune a beaucoup fait écrire, pour de multiples motifs, cependant la majeure partie des textes se divise toujours entre utopies et dystopies, des modèles de sociétés parfaites ou décadentes ; il y aussi beaucoup de satires sociales et/ou politiques, et il est toujours pratique de se protéger de la censure par l'art de l'équivoque, en se positionnant ailleurs que sur notre planète. Il fut un temps où même les philosophes avaient de l'humour, écrivaient des contes féroces et charmants... 

1
Hakim Abu’l Qasim Firdawsi Tusi, dit FIRDUSI (vers 94- vers 1020)
Shah-Nama, ou Le Livre des Rois, circa 1010

Poème épique en langue persane de cinquante mille versets, la plus longue œuvre jamais écrite par un seul homme ! L'un des Livres contient un voyage dans l’espace et vers la Lune, à l’aide de quatre aigles accrochés à un trône, attirés par un morceau de viande tendu devant eux.


2
John LILY (v.1553/1554-1606)
Endymion, The man in the moone 1588
The woman in the moone, 1597

John Lyly naquit dans le Kent en 1554. Il entra au Magdalen College à Oxford en 1569 où il obtint son B.A. (Bachelor of Arts) en 1573 puis son M. A. (Master of Arts) en 1575. Il y fut plus remarqué par son "bel esprit" que par ses succès scolaires. Il s'installe à Londres et vit dans un premier temps sous la protection du Comte d'Oxford, Lord Burleigh. Il publia en 1578 Euphues : the Anatomy of Wit, suivi en 1580 par Euphues and his England, qui rencontrèrent tous les deux une grande popularité. Campaspe, son premier spectacle, fut joué en 1581 et la plus grande part de son œuvre dramatique le fut au cours de cette décennie. The Woman in the Moone, par contre, dut être joué plus tard, dans les années 1594-1595. En 1583, Lyly se maria avec Beatrice Brown, qui lui donna huit enfants. Dans ses dernières années, il vécut dans l'attente d'un titre d'honneur, espérant accéder à la charge de Maître des spectacles de la cour, mais malgré le succès qu'il avait gagné avec son travail littéraire, il ne put jamais obtenir de traitement de faveur. Il mourut en 1606. Lyly occupe une position importante dans le développement de la comédie sociale anglaise.

Endymion est une comédie du théâtre élisabéthain. Le spectacle offre un vivant exemple du culte de la flatterie à la cour d'Elisabeth I, et elle fut considérée sans conteste comme la meilleure pièce de Lyly, tant dans sa conception que sa réalisation. Le spectacle fut donné à Greenwich par les Enfants de St Paul, en 1588. Comme le titre l'indique, la pièce est basée sur l’histoire d'Endymion, mais le lien avec le mythe est assez mince : il est surtout le produit de l'imagination de Lyly, qui semble aussi avoir emprunté des éléments de dialogue entre la Lune et Vénus de Lucien de Samosate, d'autres provenant de la Commedia dell'arte et des comédies d'auteurs latins, tels que Plaute et Terence.
3
Michael DRAYTON (1563-1631)
The man in the moon, poème, circa 1605
poème satirique et fantastique

Poète anglais de l'ère élisabéthaine, Drayton semble avoir été en faveur à la cour et il espérait qu'il en serait de même avec son successeur, mais en 1603, quand il dédia un poème à James Ier en l'honneur de son accession au trône, il fut ridiculisé et ses services sévèrement refusés. L'amertume de l'écrivain trouva son expression dans une satire, mais il n'avait aucun talent pour ce genre de composition. En 1605, Drayton fit rééditer ses écrits les plus conséquents et rassembla également de plus petites œuvres jusqu'alors inédites, dans un volume non daté, mais probablement édité la même année, sous le titre Poems Lyric and Pastoral, composé d'odes, églogues et d'une satire fantastique intitulée The Man in the Moon. Michaël Drayton fut l'ami de quelques-uns des plus célèbres artistes de son temps, comme Ben Jonson. On dit que Shakespeare fut aussi l'un de ses amis.

4
Ben JONSON (1572-1637)
News from the New World Discovered in the Moon, 1620

Comédie de masques représentée pour la première fois devant le roi James Ier, le 7 janvier 1620, cette œuvre de Ben Jonson traite de l'évolution des connaissances liées au satellite terrestre par les astronomes de l'époque, dont le célèbre Galilée, au moyen des télescopes récents, dans la suite de l'opticien hollandais Hans Lipperchey qui avait fabriqué la première lunette d'approche en 1608. Leur observations, qui permirent de révéler l'existence de massifs montagneux ainsi que d'autres curiosités géographiques et géologiques à la surface de la Lune, furent considérées comme la découverte d'un "nouveau monde".



5
Charles Sorel, sieur de Souvigny (1602-1674)
Le songe de Francion, extrait de L’histoire comique de Francion, 1623
(extrait du Livre II (Livre III des éditions postérieures), connu comme "Le songe de Francion" ; le même ouvrage, considérablement remanié et augmenté, fut réédité en 1626 et là, au XIe Livre, se trouve le morceau que nous reproduisons, d'après l'édition de Leyde, chez Henri Drummond, 1686, t.2)

"Vous savez que quelques sages ont tenu qu'il y avait plusieurs mondes. Les uns en mettent dedans les planètes, les autres dans les étoiles fixes ; et moi je crois qu'il y en a un dans la lune. Ces taches que l'on voit en sa face, quand elle est pleine, je crois pour moi que c 'est la terre, et qu'il y a des cavernes, des forêts, des îles et d'autres choses, qui ne peuvent pas éclairer : mais que les lieux qui sont resplendissants, c'est où est la mer, qui étant claire reçoit la lumière du soleil, comme la glace d'un miroir. Eh, que pensez-vous, il en est de même de cette terre où nous sommes : il faut croire qu'elle sert de lune à cet autre monde. Or ce qui parle des choses qui se sont faites ici est trop vulgaire ; je veux décrire des choses qui soient arrivées dans la lune : je dépeindrai les villes qui y sont, et les mœurs de leurs habitants : il s'y fera des enchantements horribles : il y aura là un Prince ambitieux, comme Alexandre, qui voudra venir dompter ce monde-ci.
 
Cité par Pierre Versins, Outrepart (p.104-105, Lausanne, 1971)

Après quoi, le personnage nommé Hortensius continue de discourir et se lance dans d'autres considérations sur le microcosme, plagiant de façon manifeste Blaise Pascal, son contemporain : "or il n'y a si petit corps, qui ne puisse être divisé en des parties innombrables"...

jeudi 5 novembre 2015

L'aventure du Baron de Münchausen, gardien des abeilles du sultan, de son lancement de hachette, de son voyage à la Lune et de son retour sur la Terre

Dans sa guerre contre les Turcs, le Baron de Münchhausen est fait prisonnier et vendu comme esclave. Sa tâche est de mener les abeilles du sultan au champ, de les garder tout le jour et de les ramener le soir à la ruche.

Un soir, il se rend compte qu'une abeille manque, mais s'aperçoit qu'elle est attaquée par deux ours qui veulent lui voler son miel. Il a sur lui, pour seule arme, une hachette d'argent, qui est le signe distinctif des ouvriers jardiniers et laboureurs du sultan. Sans hésiter, il lance son arme contre les deux voleurs et réussit à libérer l'abeille des pattes de ses vilains agresseurs. Mais l'impulsion donnée par le bras du Baron est telle que cette hachette s'élève très haut, si haut qu'elle va se perdre dans la lune... C'est embarrassant. Comment la récupérer ?

Le Baron de Münchausen n'est jamais à court d'idées. Connaissant l'extrême rapidité de croissance du pois de Turquie, il décide de s'en servir comme une échelle. Il plante donc un pois, qui pousse en effet très vite et indéfiniment, jusqu'à ce que sa pointe vienne contourner une des cornes du croissant lunaire. Le Baron y grimpe lestement, arrive sur la lune où il éprouve un peu de mal à retrouver sa hachette car tous les objets sont ici également en argent. Enfin, il la retrouve sur un tas de paille. Mais à présent, il lui faut revenir sur Terre, chez le Sultan !

Il lui est devenu impossible de réutiliser la tige du pois, qui s'est flétrie au soleil. Eh bien, puisqu'il y a de la paille sur la Lune, il s'en fait une corde tressée, aussi longue que possible, en fixe un bout à l'une des cornes de la lune et progresse selon l'astuce suivante : "Je me soutenais de la main droite, j'avais ma hache dans la gauche : arrivé au bout de ma corde, je tranchai la portion supérieure et la rattachai à l'extrémité inférieure : je réitérai plusieurs fois cette opération, et je finis, au bout de quelque temps, par discerner au-dessous de moi la campagne du sultan."
A deux lieues environ de la terre, tandis qu'il se trouve encore dans les nuages, la corde casse et le Baron tombe rudement au sol, y creusant un large trou "d'au moins neuf pieds de profondeur".

Voilà assurément, selon mon opinion, le voyage à la lune le plus courageux et le plus digne de foi !

dimanche 20 septembre 2015

Evin NORE : Like Haïkes, suivi de Vergers des marges [éditions du Céphalophore entêté, 1993, Redcastle, traduit du norvégien par Thorbjörn Bjørbson]

Dans ce recueil de haïkus ou de quasi-haïkus - cousins proches ou lointains -, Evin Nore a rassemblé ce qu'il qualifie "d'images flottées d'images du monde flottant", résultant de ce qui, selon sa propre définition (non définitive) des haïkus, serait des "relations concentrées d'événements de la conscience immergée dans la Nature" ou bien des "condensations d'étonnements à peine éveillés, paressant encore dans le lit des sens". Fraîcheurs d'instants, pas encore tannés. Du précipité lent. Comme un "état de chose vue revue" à travers un nouveau filtre. Et en effet, plus on "haïke" et plus on ricoche en événements d'images, rebonds et miroitements, ravissements sensoriels. Ailleurs, Evin Nore parle d'une "opération d'obstétrique nippo-ovidienne", mais on sent bien qu'il n'en mène pas large et ses explications restent finalement succinctes (on comprend du reste que gloser d'abondance à propos de la forme "haïku" en soufflant dans sa corne serait vain).
Le deuxième ensemble intitulé "Vergers des marges" prolonge "Like Haïkes" en adoptant une libre disposition spatiale avec agréments typographiques : "calligrammes-constellations en jardins-tableaux".
Avec l'aimable autorisation du poète norvégien japonisant, célèbre habitant du district de Kautokeimo, votre lièvre précieux vous livre quelques extraits de ce recueil revigorant :

 La lune brumeuse
une grenouille plonge
dans le ciel
zèbres en couleurs
sous l'arc-en-ciel
l'étonnement du lièvre des neiges
sous la lune chue
nue
attendre d'une pomme
la venue
quand la lune est à son premier quartier
il coupe son bois
en forme de croissant
portes de la lune
toujours ouvertes
personne n'entre
on n'en sort pas

lundi 13 juillet 2015

L'Histoire du fameux chasseur ou le monde renversé, de Heinrich Hoffmann, illustré par Bertall [1872]

L'Histoire du fameux chasseur est extraire d'un ensemble intitulé "Pierre l'ébourriffé" : joyeuses histoires et images drôlatiques pour les enfants de 3 à 6 ans. Elles furent écrites par le psychiatre allemand Heinrich Hoffmann et illustré par Bertall (1820-1882) :

Charles Albert d'Arnoux (Charles Constant Albert Nicolas, vicomte d'Arnoux, Comte de Limoges-Saint-Saëns), dit Bertall (ou Bertal anagramme exact d'Albert) est connu pour avoir été l'un des illustrateurs les plus féconds du 19e siècle et compte parmi les pionniers de la photographie.


samedi 13 juin 2015

Histoire littéraire des fous, Octave Delepierre [1860]

En Angleterre, dit M. Delepierre, l'encouragement à la composition littéraire forme dans les établissements d'aliénés un moyen de guérison dont s'applaudissent les médecins spéciaux. The Crichton Royal Institution en Écosse, possède une presse dirigée par les habitants de l'établissement, au moyen de laquelle on y publie un petit journal mensuel intitulé : The New moon. On y .trouve les compositions en prose et en vers de ceux qui, dans leurs intervalles lucides, se sentent enclins à ce genre de distraction. Le Royal Edimburgh Asylum a, comme le précèdent, une presse et un journal mensuel intitulé : The Morningside Mirror, qui se publie régulièrement depuis douze années. Enfin l'hospice de Hanwell, l'un des plus importants de l'Angleterre, a établi un bazar où les diverses pièces écrites par les lunatiques sont exposées et vendues à leur profit. Un public nombreux visite ces expositions de publications fantaisistes tirées sur papier de couleur, ornées d'arabesques bizarres, dont la vente est parfois considérable.

La Revue anecdotique des excentricités contemporaines (premier semestre, année 1860)

Charles-Amédée Henri de Noé, dit CHAM : Nubis, voyage dans la lune [vers 1840]

Ce voyage dans la lune, écrit et dessiné par Cham (1818-1879), raconte l’histoire de M. Nubis, personnage-type du bourgeois du XIXe siècle, qui se prépare à partir en aérostat. La foule assiste à l'envol de l'audacieux voyageur, dont le départ manque cependant de brio : en effet, le décollage s'effectue alors qu'il a eu à peine le temps de se hisser dans la nacelle. Sans autre complication, le ballon et son passager s'élèvent ensuite rapidement dans les airs jusqu’à atteindre la Lune.

Cham adapte alors le langage aux circonstances : c'est ainsi que M. Nubis « prend lune avec ses provisions » ; plus tard, il « tombe à lune » puis mange des « pommes de lune frites ». Nubis rencontre les Luniens, qui sont habillés de blanc, ont une face rubiconde pourvue d'un œil unique. Pour se conformer à cette particularité et partir à la découverte de la Lune et de ses habitants, M. Nubis cache l’un de ses yeux au moyen d’un bandeau.

L’endroit se révèle assez invivable, c'est le moins qu'on puisse dire puisqu'il y fait très chaud le jour (3000 degrés au-dessus de zéro) et glacial la nuit (3000 au-dessous de zéro). Les journées ne comptent pas moins de 696 heures et les mœurs des Luniens étonnent : pour payer une marchandise ou un service, on botte les fesses du fournisseur.

A la suite de malencontreuses initiatives, M. Nubis est arrêté, conduit au tribunal et jugé. Pour se tirer de cette dangereuse affaire, il ôte son bandeau en plein prétoire, jetant l'effroi parmi les Luniens ; profitant alors de la situation, notre héros s’enfuit, quitte la Lune en sautant dans le vide, suspendu à un mouchoir de poche... Malheureusement, l’histoire s’arrête ici brusquement, en pleine action, sans que nous puissions connaître les motifs de cet abandon.

Nubis, Voyage dans la Lune, qui se trouvait dans la succession d’un descendant de Cham, a été acquis en 2006 par le Musée de la Cité Internationale de la bande dessinée et de l’image, à Angoulême : non daté, non publié, ce récit se présente sous la forme d'un cahier cartonné/broché de vingt planches aquarellées. Dans sa présentation le CIBDI signale que le texte sous l'image est rapidement griffonné, parfois raturé. On y décèle l'influence du dessinateur suisse Rodolphe Töpffer, tant dans le genre que dans la forme du récit, de l'homme du commun emporté dans des aventures singulières dont il est le jouet.

Deuxième fils d’un pair de France, Cham est reconnu aujourd'hui comme l’un des grands dessinateurs de presse et caricaturistes de la seconde moitié du XIXe siècle, mais il fut de 1839 à 1843 le précurseur de la bande dessinée en France, publiant plusieurs albums (Histoire de Monsieur Lajaunisse, Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse…) À partir de 1843 et pour plus de trois décennies, il devient caricaturiste pour Le Charivari puis L’Illustration. Cham meurt de phtisie à 61 ans, la même année que Daumier, qui était de dix ans son aîné.

Pour en savoir toujours +

mardi 10 mars 2015

Cunicularii ou les Sages de Godliman en mission d'étude : William Hogarth, 1726

L'histoire de Mary Toft a été racontée de nombreuses fois, mais il est intéressant de revoir certains de ses aspects qui ont tendance à être négligés. Pour ceux qui l'ignorent, voilà une version de l'histoire très simplifiée : Mary Toft vivait à Godalming dans la campagne du Surrey au début du 18e siècle et elle connut une brève renommée nationale pour avoir prétendument accouché de lapereaux. Elle reçut la visite de nombreuses personnes, les uns essayant d'expliquer l'événement tel qu'il s'était produit tandis que les autres contestaient les faits ou d'autres encore qui préféraient ne pas prendre parti. La femme fut amenée à Londres pour une enquête plus poussée et sous la pression avoua finalement avoir été complice d'une autre femme, qui aurait eut l'idée de la tromperie, et fut punie. Cette histoire fut le grand événement de 1726-1727 et, à l'exemple d'autres épisodes sensationnels comme le fantôme de Cock Lane en 1762, celui-ci fit l'objet de discussions, pamphlets et caricatures.
Dans un article consacré à cet événement, Lisa Forman Cody analyse les rapports de similitude entre les arguments des partisans de la naissance des lapins et leurs adversaires : les deux partis utilisent des formules consacrées pour attester de leur méthode d'investigation et de démonstration - méthode qui sera plus tard qualifiée de "scientifique" [1]. Lorsque des événements n'ayant pas eu lieu réellement sont "expliqués" exactement selon les termes employés par les experts, comment le public saurait-il faire la distinction entre, d'un côté, de véritables chercheurs et, de l'autre, ceux qui les imitent avec précision, mais sans en avoir les compétences et en apporter des preuves solides et pertinentes ? 
Cette histoire suscita des commentaires dans la vie publique et parmi ceux-ci, deux caricatures qui mettent en scène Mary Toft furent réalisées par William Hogarth (1697-1764) : l'une d'elles, Cunicularii, est datée du 22 décembre 1726, et l'autre d'abord intitulée "Définition de l'Enthousiasme" fut renommée ensuite "Crédulité, superstition et fanatisme". Toutefois, la portée de ces dessins dépassent cette affaire : si Mary Toft y est présente, elle ne constitue pas le sujet principal. Les gravures doivent être mises plus largement en rapport avec leur contexte historique, et pas uniquement avec la drôle d'aventure de Mary Toft, si amusante soit-elle.

 

Dans "Cunicularii", une lettre est assignée à chaque personnage et renvoie à une légende en bas de la gravure. Certains de ceux qui figurent dans l'image se signalent aussi par la présence de phylactères. Mary Toft est marquée de la lettre F et légendée "la femme sur le lit". Sur la gauche, on voit un homme et une femme : il s'agit de Joshua Toft, l'époux de Mary, marqué E et décrit en légende comme le "propriétaire des lapins" tandis que la femme indiquée par la lettre G, appelée la "nourrice des lapins" est identifiée comme étant Margaret, sœur de Joshua et complice du canular.

Sur le détail de l'image, à présent, nous trouvons : au fond à droite, près de la porte, marqué D et désigné en légende comme "l'accoucheur de lapins de Guildford" apparaît une autre personne de l'entourage : l'accoucheur de la ville voisine citée, John Howard. Il refuse le don d'un lapin que lui offre un des conspirateurs en disant : "il est trop gros", signifiant ainsi son implication avec les fermiers facétieux. Au milieu se trouvent trois visiteurs venus de Londres, s'émerveillant devant le prodige. Le plus proche de Mary, désigné par la lettre B, est reconnu comme chirurgien-obstétricien, la main sous les jupes de la patiente, il déclare : "ça frétille, ça gonfle, ça s'étend, ça vient". A sa droite, se trouve un homme marqué de la lettre C qui lève les mains au ciel en disant : "Un sooterkin" [2]. Plus loin sur la droite, le troisième visiteur en A est tourné vers la scène et s'exclame joyeusement "Une grande naissance."
Qui sont ces visiteurs ? Ils ont été identifiés dans un brillant article publié par Dennis Todd en 1982 [3]. En commençant par la droite, le personnage A qui est désigné comme le "Maître de danse ou l'anatomiste des parturitions" est en réalité Nathanael St André, un dilettante suisse, maître de danse, anatomiste amateur et répétiteur d'allemand de George Ier : il fut le plus zélé des partisans de la naissance des lapins. A la gauche de celui-ci, le personnage C du milieu est décrit comme "Le docteur sooterkin, stupéfait" : il s'agit de John Maubray, auteur de célèbres traités sur l'accouchement, et qui fut l'un des docteurs que Mary dut consulter à Londres le 4 décembre 1726. Le plus à gauche des personnages, l'accoucheur B, qui dit « ça frétille, ça gonfle, ça s'étend, ça vient » est désigné ainsi : "un philosophe des sciences occultes étudiant la profondeur des choses". Dennis Todd identifie cette figure comme un composé de deux individus. Le phylactère lui permet de le relier à Sir Richard Manningham, l'accoucheur qui soupçonna la supercherie mais dont les propos furent un temps mal interprétés. Cependant, selon Todd, la légende se rapporte à un autre individu qui joua également un rôle dans cet événement : Samuel Molyneux (1689-1728), un astronome qui fut l'un des hommes envoyé en mission dans le Surrey par George Ier pour examiner Mary Toft. Molyneux fut un "expert" (praticien des arts et des sciences) et un autre partisan de la naissance des lapins.

L'adoration des Mages, gravure d'après Nicolas Poussin (détail)

Hogarth établit un contraste entre les figures rustiques des personnages locaux qui ont organisé la supercherie (situés en marge de la scène) et les trois londoniens au centre, qui s'en émerveillent. A première vue, nous pourrions croire que les physiciens éminents de la capitale ont été bernés par les autochtones. Toutefois, comme Todd le montre, cette interprétation est mauvaise. D'une part, de ces trois personnages, le seul partisan de la théorie des lapins est un docteur (Maubray), et ce dernier avait de plus un intérêt personnel à appuyer la thèse du Sooterkin, ayant publié peu de temps auparavant un ouvrage, "The female physician", dans lequel il prêchait l'existence de ce genre de « Conceptions Môlaires ». L'autre docteur présent dans l'image, Manningham, était l'exemple même du sceptique qui obligea d'ailleurs Mary Toft à passer aux aveux (d'autres médecins qui avaient également mis en doute le témoignage de Mary n'ont pas été intégré à la gravure).

D'autre part, la raison de la présence de ces trois visiteurs est un choix de composition artistique, rapprochant la scène de celle de la naissance du Christ : dans la gravure de Hogarth, les personnages s'émerveillent de cette naissance miraculeuse, non pas par vérité historique mais pour nous rappeler la scène de L'Adoration des Mages. La phrase "Les savants hommes ou les sages de Godliman (c'est-à-dire Godalming) doit aussi être comparée avec les proverbiaux "sages de Gotham", qui n'étaient pas des sages mais des simples d'esprit, ou supposés tels.
Le but véritable de Hogarth, en rapportant l'histoire de la naissance de lapins en terme de Nativité du Christ, est de se servir de cette opportunité pour se moquer de "L'Enthousiasme", fondamentalisme religieux de son époque. Celui-ci a pu être défini comme "un état (se réclamant) d'inspiration divine. Cette "inspiration" est la plupart du temps considérée comme un égarement par ceux qui emploient le terme d'Enthousiasme, et celui-ci est généralement vu comme mauvais, apparenté au fanatisme, l'irrationalité et la folie" [4]. Bien que les quakers furent typiquement définis comme Enthousiastes, un autre groupe se vit accoler cette étiquette péjorative, aussi étrange que cela puisse paraître : les astronomes. "L'astronome virtuose représentait à l'époque le type même de l'Enthousiaste." (Dennis Todd), ce qui explique pourquoi Hogarth inscrit en épigraphe de la gravure une citation légèrement altérée de "Hudibras" de Samuel Butler qui décrit l'astrologue Sidrophel. Molyneux était un astronome qui accréditait la naissance des lapins.


Le véritable sujet de Cunicularii est donc l'Enthousiasme malavisé, qui est tourné en ridicule par la comparaison avec l'émerveillement de ceux qui furent trompés par le canular de Godalming. (N'oublions pas que l'autre caricature de Hogarth fût d'abord intitulée "Définition de l'Enthousiasme"). Le cas de la femme aux lapins ne sert que de cadre ou, à la manière d'Alfred Hitchcock, de "MacGuffin" (d'indice trompeur ou fausse piste). Puisqu'il utilise les traditions et les scandales médicaux en tant que métaphore des pratiques religieuses, le Cunicularii d'Hogarth serait un sujet idéal de projet pour des étudiants dans le champ de la sociologie des médias, des science studies, des études de genre ou de l'histoire de la médecine et des sciences, ainsi que dans des disciplines plus évidentes, comme la civilisation britannique ou l'histoire de l'art. Mais pour en comprendre les tenants et les aboutissants, il ne faut négliger aucune de ces disciplines : se focaliser sur l'une d'entre elles introduit un biais. Ce qui peut à première vue être une simple tromperie se révèle avoir des liens avec presque toutes les disciplines de l'époque et d'aujourd'hui.


 

[1] Lisa Forman Cody, ‘”The doctor’s in labour; or a new whim wham from Guildford”‘, Gender & history, 1992, 4: 175-196

[2] Sooterkin, parfois faussement appelé en français avorton. Un avorton, qui serait plus de la nature d'un avatar, croisement improbable entre science et folklore... En voici l'explication :
En 1724, la description de John Maubray donnée du sooterkin fut tournée en ridicule. Le sooterkin était cet étrange animal auquel les mères humaines donnaient naissance en même temps qu'un enfant normal. Selon un commentateur, de telles créatures ne pouvaient s'expliquer par la génération spontanée. La littérature européenne du XVIIe siècle qui traite des naissances monstrueuses mentionne l'existence de plusieurs progénitures non-humaines, nées de mères humaines. Ces naissances non-humaines laissent entrevoir les premières théories modernes du développement fœtal. Les naissances de sooterkin étaient différentes de produits de conception tels que les môles hydatidiformes, censés eux provenir de la semence humaine. Cette théorie explicative émergea au début du XVIIe siècle : le philosophe naturaliste, Fortunio Liceti, émit l'idée d'une semence humaine subissant une dégénérescence et pouvant produire un fœtus. Ce dernier ressemblait à un animal ou pouvait être de nature animale. Le concept s'étendit ensuite au fœtus humain qu'on croyait capable de dégénérer, sous l'effet de stimulations externes telles que les empreintes maternelles. La théorie de la dégénérescence séminale explique l'intérêt des auteurs du XVIIe siècle pour rapporter des cas d'animaux, nés de mères humaines. Le phénomène servit de preuve pour expliquer certaines théories embryologiques complexes. Ces théories postulent un développement fœtal animal ou humain censé procéder de façon semblable. Les anomalies surviennent dès que le produit de conception suit une autre voie de développement.

The sooterkin dissected : the theoretical basis of animals births to human mothers in early modern Europe, par A. W. Bates - Vesalius, revue officielle de la Société Internationale d'Histoire de la Médecine, IX, 2, 6-14, décembre 2003

[3] Dennis Todd, ‘Three characters in Hogarth’s Cunicularii — and some implications’, Eighteenth-century studies, 1982, 16: 26-46

[4] Robert Shaver, ‘Enthusiasm’, in E. Craig (ed.), Routledge encyclopedia of philosophy, London: Routledge, 1998

Un grand merci à William Schupbach, auteur de cet article et à Léa L. pour la traduction française.

mardi 3 février 2015

L'Homme dans la lune 5 : Pan Twardowski

Dans un de ses poèmes, Wisława Szymborska (prix Nobel de littérature 1996) mentionne un personnage nommé Twardowski, au sujet duquel le traducteur Christophe Jezewski apporte en note quelques explications :

"Twardowski, personnage d'une célèbre légende polonaise, gentilhomme qui ayant vendu son âme au diable, ruse avec lui pour ne pas aller en enfer, et, finalement, alors que le diable l'emporte, est sauvé grâce à ses prières à la Vierge et se retrouve sur la lune où le diable le laisse tomber."

Vous comprendrez que l'existence d'un nouveau résident sur la lune a fait aussitôt dresser les oreilles de votre lièvre précieux et le précipiter vers le Centre de documentation de son hyper-terrier, afin d'avoir plus d'information sur cet événement. Les premiers résultats de l'enquête confirment en effet la présence de ce Faust polonais et nous renseignent sur les raisons de son exil sur l'astre lunaire :

"Pan Twardowski était membre de la noblesse polonaise qui résidait à Cracovie au 16e siècle. Il vendit son âme au diable en échange de la connaissance et de pouvoirs surnaturels. Cependant, Pan Twardowski voulut se montrer plus malin que le diable en incluant une clause spéciale dans le contrat qui énonçait que le diable ne pouvait reprendre son âme que lors d'un séjour à Rome, une ville qu'il n'avait pas l'intention de visiter.

Avec l'aide du diable, Pan Twardowski acquit rapidement fortune et célébrité, devenant un membre de la cour de Sigismond II de Pologne, qui recherchait la consolation dans la magie et l'astrologie après la mort de sa femme, Barbara Radziwiłł. Pan Twardowski aurait fait apparaître le fantôme de sa femme grâce à un miroir magique. Pan Twardowski écrivit aussi deux livres, dictés par le diable, une encyclopédie et un livre sur la magie.

Stasys Eidrigevičius, poster pour le ballet Pan Twardowski
Après plusieurs années pendant lesquelles il échappa à son destin, le diable roula Pan Twardowski en l'attirant dans une auberge dont le nom était Rome. Pendant que le diable prenait son âme, Pan Twardowski pria la Vierge Marie, ce qui fit que le diable relâcha sa victime à mi-chemin de l'enfer, sur la lune, où il vit aujourd'hui. Son seul compagnon est son assistant, qu'il avait transformé un jour en araignée : de temps en temps, Pan Twardowski la laisse descendre sur Terre pour qu'elle lui en rapporte quelques nouvelles (les derniers potins et ragots, précise-t-on)."

A cette légende, qui propose comme une sorte de décalque de la légende de Faust, s'est ajoutée des éléments plus récents et la figure du personnage s'est elle-même modifiée. Dans un Guide touristique de Cracovie, Twardowski reçoit le prénom de Jan et cherche à découvrir la pierre philosophale. Alchimiste et médecin, mais surtout magicien, on nous dit qu'il "guérissait les maladies et rajeunissait les gens".


Souvent, sur les illustrations qui le représentent, on voit Twardowski chevaucher un coq. Il est dit qu'au moment où le diable fit apparition dans l'auberge nommée "Rome" pour prendre l'âme de Twardowski, celui-ci sauta sur un coq et s'envola dans le ciel... Mais l'histoire est parfois différente, comme nous le remarquerons ci-dessous, dans une version encore plus étendue de la légende. 

Une autre précision, anecdotique, nous semble avoir été enfin ajoutée à des fins purement touristiques :

"Grâce à l’aide du diable, Twardowski aurait entre autres, formé le désert Błędowska (l'un des cinq déserts naturels d'Europe, situé en Haute Silésie). Selon la légende, sur les terrains des actuels Rochers de Twardowski (Zakrzówek), Maître Twardowski avait une école de magie et de sorcellerie. Un jour, l’explosion de son laboratoire donna naissance à ces rochers."

La légende fit l'objet de différentes interprétations littéraires (poésie, roman), d'adaptations théâtrales et musicales : un premier opéra en 1828, un ballet en 1874, des films, dont un de Ladislas Starewitch en 1917, puis d'autres en 1921, 1936, 1995...
Dans le texte qui suit, la légende nous paraît à présent assez complète dans sa description et si elle nous intéresse en matière de comparaison avec celle du docteur Faustus, elle comporte des éléments comiques dont celle-ci est évidemment exempte : 

Dès le 15ème siècle, l'Université de Cracovie a été célèbre dans le monde pour sa faculté d’astronomie – (où s’instruisit entre autres l’illustre Kopernik) – mais aussi pour son département d’astrologie qui attirait des étudiants de tous pays. Certains venaient dans le but d’ en savoir plus sur les sciences occultes. En dehors de l’Université, ils pouvaient fréquenter les ateliers des magiciens et alchimistes du centre de la Cité. 
Le plus réputé de ces alchimistes se trouvait être un homme de noble descendance qui s’appelait Pan Twardowski. Il vivait à la fin du moyen-âge ou au début de la Renaissance, au début du 16ème siècle. Depuis son enfance, il aimait passionnément lire. Bourré de connaissances, il occupait ses jours et ses nuits à expérimenter des formules de magie noire.
Ses compétences en matière de magie étaient largement aussi reconnues que celle du célèbre docteur Faustus, alchimiste allemand, qui d’ailleurs lui rendait parfois visite. Tous deux discutaient de longs moments de leurs connaissances ésotériques, de leurs trucs et astuces en matière de magie, de leurs mystérieuses potions. Si chacun d’eux gardait cependant jalousement quelques secrets très personnels, ils savaient qu’ils avaient en commun certaines pratiques, notamment pour rencontrer le diable. L’un comme l’autre appelaient le diable la nuit tombée, au moment de la pleine lune.

Cependant, Pan Twardowski avait atteint un tel niveau de connaissance en matière d’astrologie que tout Cracovie connaissait son nom. On le respectait d’autant plus qu’en dehors de ces domaines occultes, il avait également d’excellentes connaissances en médecine. Malgré sa personnalité mystérieuse, il n’était nullement mauvais homme. Les Cracoviens, même les plus humbles, ne le sollicitaient pas en vain en cas de maladie, il acceptait tout naturellement de les soigner.
Sa réputation parvint aux oreilles du roi lui-même, Sigismond-Augustus. Son épouse Barbara, que le roi aimait passionnément, venait de mourir. Il était inconsolable. Il fit appeler Twardowski au Wawel pour avoir recours à ses dons. L’alchimiste, par d’habiles tours de magie, parvenant à lui faire apparaître le visage de la défunte, il devint très estimé du roi. 
Cependant, Twardowski continuait ses interminables expériences dans son logis. Une nuit qu’il avait longuement veillé, il essaya une incantation trouvée dans l’un de ses énormes livres. A peine avait-il prononcé la formule qu’une créature étrange apparut dans la pièce. Ses petites cornes rouges, ses sabots, ses griffes ne laissaient pas de doute : C’était bien Méphistophélès qui se tenait devant Twardowski. A l’issue d’une longue discussion, ils se mirent tous deux d’accord et signèrent un pacte :
Pan Twardowski acceptait de vendre son âme au diable ; en échange, ce dernier consentait à exaucer tous ses souhaits. Pour finir, selon leur accord, le diable viendrait chercher Twardowski pour prendre possession de son âme lorsqu’il le trouverait à Rome.
Twardowski riait sous cape, pensant qu’il avait joué un bon tour au diable, car il se garderait bien d’aller jamais à Rome (où pourtant mènent tous les chemins, Note du blogueur).
Les mois et les années passèrent. Pan Twardowski était devenu riche, comblé. Il s’amusait même à considérer le diable comme un vrai serviteur, lui demandant d’exaucer mille et un caprices, ce que le diable, selon leur accord, ne pouvait refuser.
On dit que le magicien se promenait sur la place du Rynek juché sur le dos d’un coq géant. Une autre fois, il ordonna à Méphisto d’ériger une immense pierre en forme de massue (que l’on peut toujours voir dans le massif des Sudètes à Pieskowa Skala, pierre connue sous le nom de «massue d’Hercule»). D’autres fois, il passait à cheval sur le marché, renversait vases et vaisselles et ordonnait au diable de les remettre en état pour les restituer intacts aux propriétaires.
Tant et si bien que le diable se sentait devenir fou avec tous les caprices de Twardowski et qu’il décida de prendre les choses en mains, comprenant que le magicien se garderait bien de se rendre jamais à Rome.
Le diable fit donc construire par ses ouvriers à la sortie de la ville une auberge dans le plus grand secret. Et un soir, alors que la nuit était tombée, il fit appeler Twardowski sous le prétexte qu’un enfant malade, dans les faubourgs de la ville, avait besoin de ses soins d’urgence. Twardowski qui malgré tout, était resté un médecin dévoué à tous ceux qui avaient besoin de son aide, s’empressa de monter dans la calèche qui l’attendait. Le cocher l’arrêta devant une auberge qu’il s’étonna un peu de ne jamais avoir vue. Quand il fut entré sans méfiance à l’intérieur, le diable apparut, triomphant.
Ton âme est à moi, claironna-t-il.
Et il montra à Twardowski médusé l’enseigne de l’auberge. Celle-ci portait le nom de Roma.

Aussitôt le diable s’empara du magicien et ils commencèrent à voler, Twardowski serré entre ses griffes.
Dérouté, Twardowski se souvint de son enfance, l’image de sa tendre mère lui revint en mémoire et les chansons pieuses qu’elle lui fredonnait lui revinrent aux oreilles. Il se mit à entonner un cantique à la Vierge Marie, de plus en plus fort, comme s’il voulait se donner du courage. Comme par miracle, le diable perdit ses forces, ses griffes se desserrèrent et il disparut. Twardowski resta suspendu sur un quart de lune… où il est encore.
Il attend patiemment le jour du jugement dernier. Il a trouvé le moyen de communiquer avec les autres planètes par un réseau d’araignées qui lui sont toutes dévouées. Les nuits bien dégagées, il a le bonheur de pouvoir contempler de là-haut, la terre et particulièrement sa cité bien-aimée de Cracovie. Il peut même voir comme les petits enfants dont les mamans leur raconte son histoire, se mettent à regarder vers la lune à travers les fenêtres, pour tenter de distinguer la silhouette du fameux magicien…