La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

mardi 30 décembre 2014

La Lune : croyances et rites du Cambodge

La lune cambodgienne est une lune ambiguë. Tantôt femelle, tantôt mâle.../... son sexe n'est pas défini une fois pour toutes.
Il est possible que la conservation de ces deux aspects soit l'effet de la double influence entre l'Inde, où la lune est une divinité masculine, et la Chine, où elle est toujours féminine.

En revanche, son caractère bénéfique est parfaitement clair : la lune cambodgienne est généreuse.
Calendrier personnifié, la lune ponctue les événements de la vie privée et publique. Quand d'autres civilisations représentent symboliquement l'astre des nuits par un fruit, un œil, une goutte, une faucille, une barque, les artistes cambodgiens n'ont retenu d'elle que sa lumière d'argent, fraîche comme le cristal, et qui dure neuf cent mille ans.

Dans la représentation que s'en font les Khmers, la lune est lumière.
Les légendes de l'origine de la lune la relient presque toujours au soleil, font des deux astres des frères.
Un troisième frère apparaît généralement : Râhu, le monstre des éclipses.

Selon une vieille légende cambodgienne, le soleil, le feu, le tonnerre, le vent, la pluie, l'étoile Râhu, la lune, étaient sept frères, l'astre nocturne étant de tous le plus jeune.

Tous invités à dîner chez un seigneur, seule la Lune mit de côté des provisions pour sa mère, veuve et seule à la maison. Les astres-frères voulurent s'emparer de ces réserves et un combat s'engagea. Lune réussit à s'enfuir pour porter les gâteaux à sa mère. Chaque fois que Lune brille, nous sommes heureux et tous les ans nous célébrons une fête de salutations au Seigneur Lune, pour le remercier de sa bonté, et pour honorer ses sentiments de piété filiale.

D'autres légendes, en lien avec les éclipses, précisent l'origine de la lune : Soleil, Lune et Rahû y sont généralement frères, ce dernier avalant les deux premiers et provoquant les éclipses soit par colère inassouvie, soit par tendresse fraternelle. Il arrive aussi que Lune et Soleil soient cités l'un après l'autre sans aucune précision de parenté :

A l'origine, la Terre répandait une forte odeur, semblable à celle du caramel, et elle était plongée dans une obscurité absolue. Un génie, attiré par cette bonne odeur, voulut manger un peu de la Terre. Mais son corps, qui était lumineux, s'éteignit. Il fut pris d'une grande peur. Alors le Grand Tevoda lui envoya Prah Atit, le Soleil, pour l'éclairer le jour, et Prah Chan, la Lune dans son char d'argent, pour l'éclairer la nuit.

Salutation royale à la lune

Pour la Fête "des salutations à la lune et de l'avalage de l'ambok" (1), un prêtre venait présenter l'eau lustrale dans une conque incrustée d'or, émaillée de vert, de blanc, de rouge et posée sur une petite coupe d'or massif. le roi se mouillait légèrement les paumes, levait ses mains vers la lune, puis s'humectait le visage. Après un instant de contemplation et d'hommage, le roi aspergeait les enfants royaux prosternés devant lui au moyen de feuilles de phnou (arbre Bilva, aegle marmelos) trempées dans l'eau lustrale.

(1) Riz nouveau, modérément torréfié, puis écrasé au pilon alors qu'il est encore chaud.

Le Seigneur Lune et le peuple des campagnes

C'est surtout dans les campagnes que le peuple khmer rend hommage à la lune. Sur les places des villages, le plus souvent dans la cour des monastères bouddhiques, ou simplement devant une maison, on salue le Prah Chan, le Prah Khê, l'Auguste Lune, le Seigneur Lune.

Invocation au Seigneur Lune

"Aujourd'hui est le jour de la pleine lune du mois de Kadêk. Aujourd'hui dans chaque famille, dans chaque village, on fait ce que nous faisons ici. Nous invitons les divinités du ciel à venir prendre leur part de ces bananes, de cet ambok grillé par nous, écrasé par nous. Venez boire l'eau de cette noix de coco et protégez-nous, faites que nous soyons heureux dans cette vie et que nos biens s'accroissent entre nos mains ! Soyez notre protecteur, belle et bonne Lune, continuez d'éclairer le monde quand le soleil s'est enfoncé à l'ouest, afin que les ténèbres ne couvrent pas la terre !"

Les variantes de la fête sont nombreuses et il n'est pas rare que les bonzes des monastères bouddhiques y participent, récitant des prières en pâli à la gloire de la lune, notamment le Chanbaret (du pâli Canda-Parittam), psalmodié également au moment des éclipses.

Dans la province de Kandal ont lieu en liaison avec les salutations à la lune des courses de pirogues où prennent place des orchestres de musique siamoise et les grands tambours sayam, qui sont des répliques de la Fête des Eaux célébrées à Phnom-Penh."

Interprétation bouddhique de la fête de la lune

Les Cambodgiens donnent de cette fête une explication toute bouddhique, évoquant les Jâtaka ou "Renaissances", textes relatifs aux vies antérieures du Buddah. L'un de ces textes, dont nous avons déjà beaucoup parlé et qui fonde l'un des principales légendes du lièvre lunaire, raconte que le Buddha se serait réincarné sous la forme d'un lièvre et aurait donné sa vie, par compassion, à un chasseur. Celui-ci aurait fait un vœu avant son sacrifice, celui que son image s'imprimât dans le disque de la lune où l'on peut actuellement le discerner, disent d'un commun accord Cambodgiens, Laotiens et Vietnamiens. Mais cette explication se superpose au caractère fondamental des salutations, celui d'un rite de fécondité pour la terre et de prospérité pour les êtres humains.

Conclusion

Au Cambodge, la lune regarde d'un même œil serein les dieux et les hommes, épouse les uns, nourrit les autres, illumine les mondes [...] Tantôt mâle tantôt femelle, la lune est à la base d'un dualisme opposant des groupes sociaux, et détermina jadis les règles dynastiques et des unions matrimoniales. La lune est cependant un astre bénéfique, dispensateur de prospérité ; elle est associée à la pluie, aux moissons, à la fécondité de la terre et des êtres vivants [...] Mâle ou femelle, seigneur du ciel ou femme-serpent, généreuse et un rien malicieuse, teintée de magie, légèrement voilée de bouddhisme, avalée par un monstre et secourue par les bonzes, la lune du pays khmer est une lune ambiguë, de nature complexe, parée de toute la richesse des croyances cambodgiennes.

Tous ces extraits sont issus/adaptés de : La Lune, croyances et rites du Cambodge, par Eveline Porée-Maspero et Solange Bernard-Thierry (in La Lune - mythes et rites, collection Sources orientales, Paris, Le Seuil, 1962)

lundi 29 décembre 2014

La Lune en Canaan et Israël [Araméens, Hébreux]

Madeleine Petit commence par rappeler "combien sont grandes les difficultés de trouver des textes concernant un dieu lunaire en Israël, alors que nous savons que le monothéisme auquel il est arrivé [...] s'est efforcé de supprimer tout ce qui aurait pu l'entacher."
Les Hébreux nomades, lorsqu'il arrivèrent en conquérants à Canaan se trouvèrent en face d'un peuple sédentaire, avec une tradition religieuse bien établie. Ces épisodes qui figurent la préhistoire du peuple hébreu sont à aller chercher dans les documents araméens. Les Araméens, étaient issus des mêmes régions, cousins par la race et par la langue (les Hébreux revendiquent leur appartenance à une race et une origine communes : d'après la plus vieille tradition de la Bible, la Mésopotamie araméenne était la patrie d'Abraham. Sara, Rebecca, Léa et Rachel étaient des Araméennes.)

Quels sont les témoignages du culte lunaire chez les Araméens ?

Nomades et guerriers, "les Araméens partent, comme les Hébreux, de l'Euphrate." Fondateurs d'états, leur puissance est grande et au Ve siècle, l'araméen est la langue des chancelleries, de l'Euphrate à l'Egypte. Leur première grande étape, partant d'Our en Chaldée, fut Harran. De nombreux textes assyriens et babyloniens permettent de vérifier qu'ils "établirent comme dieu de Harran le dieu Sin, ce dieu-lune qui nous est déjà connu (voir Anatolie) dans une grande partie du proche et moyen Orient.

Sahar

Une stèle retrouvée près d'Alep mentionne Sahar, nom araméen du dieu-lune, ainsi qu'une autre située à Nérab, sur laquelle est mentionnée sa généalogie : Sahar possède un temple à Nérab et "nous voyons que non seulement le culte du dieu-lune se maintient chez les Araméens mais qu'il s'installe dans les pays conquis, et que des sanctuaires sont bâtis pour son culte. Le croissant lunaire le symbolise. C'est un dieu bienveillant et protecteur, qui accorde longue vie, prospérité, nombreuse descendance à ses fidèles et, lorsqu'ils sont morts, protège leur sépulture."

"L'évolution religieuse des Hébreux sera toute différente, mais il était nécessaire d'esquisser celle des Araméens, afin de mieux éclairer le milieu contre lequel les partisans du monothéisme eurent à lutter."

Lutte d'Israël contre les cultes astraux

Israël devint dans le monde antique le champion du monothéisme, mais pour s'imposer il eut à lutter contre le polythéisme ambiant de Canaan et de ses voisins, mais aussi et surtout contre les Israélites eux-mêmes. Nous retrouvons trace des cultes astraux par les interdits et les condamnations :

"Et quand tu lèveras les yeux au ciel et que tu verras le soleil, la lune et les étoiles, toute l'armée des cieux, ne te laisse pas entraîner à te prosterner devant eux et à les adorer, car Yahvé ton Dieu les a assignés à tous les peuples qui sont sous le ciel."
Deutéronome (IV, 19)

Il ne s'agit pas d'une simple mise en garde, car le fait de s'adonner à ce culte est réprimé avec la plus grande sévérité, allant jusqu'à la mort. Et s'il se trouve quelque personne chez soi ou dans sa ville qui aille servir d'autres dieux et se prosterner devant le soleil, la lune ou les astres, la procédure est la suivante :

"Tu traîneras l'homme ou la femme qui aura commis cette mauvaise action aux portes de ta ville et tu les lapideras jusqu'à ce que mort s'ensuive."
Deutéronome (XVII, 3-5)

Les morts eux-mêmes ne seront pas pardonnés : "Ils ne seront plus recueillis ni ensevelis ; ils resteront comme du fumier à la surface du sol." (Jérémie, VIII, 1-2).

Malgré ces lourdes menaces et punitions extrêmes, les Israélites n'en continuent pas moins d'adorer les "faux dieux". Contre la persistance des cultes astraux, il fallait souligner la supériorité de Yahvé aux yeux des Juifs. 

Supériorité de Yahvé

Dans la Genèse, cette supériorité passe d'abord par le rapport de subordination de la chose créée au créateur : c'est Yahvé qui a fait les cieux et les cieux lui sont soumis. et la lumière de Yahvé éclipsera enfin tout autre lumière :

"Le soleil ne servira plus à t'éclairer pendant le jour
ni la lune à te donner de la clarté :
Tu auras constamment Yahvé pour lumière
et ton Dieu pour parure.
Ton soleil ne se couchera plus
et ta lune ne décroîtra jamais ;
Car tu auras constamment Yahvé pour lumière
et les jours de ton deuil seront à leur terme."
(Isaïe LX, 19-20)

Néoménies

La fête de la nouvelle lune ou de la néoménie serait la trace d'un ancien culte rendu à une divinité lunaire. La plupart des textes de référence unissent les deux termes de "néoménie" et de "sabbat". On offrait des holocaustes à Yahvé à chaque nouvelle lune.

Pleine lune

La plupart des savants ont rattaché le sabbat à la fête de la pleine lune, l'opinion la plus courante étant que le sabbat (shabbat) vient de shabatu "cesser", le sabbat étant le moment du mois où la lune "cesse" de croître.

La Pâque

Comme le sabbat, la Pâque (pesâkh) a été rattachée à une fête de pleine lune. Les traditions bibliques s'accordent pour raconter que la Pâque fut instituée pour commémorer la sortie d’Égypte des Hébreux. Mais cette fête qu'on célèbre dans le désert semble bien avoir été une fête de nomade, d'origine pastorale.
Fête du départ d'Egypte, fête de nomade dans le désert, fête du quatorzième jour du mois, il semble bien que nous soyons en présence d'une fête étroitement liée à la pleine lune.

Que conclure de cette enquête ? Pas de mythe de la lune en Israël, mais on peut parler de traces d'un culte lunaire, ce qui présupposerait une religion lunaire du désert [...] On ne peut nier que la plupart des fêtes hébraïques aient été en rapport avec la lune. Mais avec le dieu ou avec l'astre ? Là est toute la question, que nous ne nous chargerons pas de trancher."

La Lune - Mythes et Rites – La lune en Canaan et Israël
par Madeleine Petit (Le Seuil, 1962)

samedi 20 décembre 2014

Abécédaire de Titta Caouanne [Rémy Leboissetier, décembre 2014]

Ce livre-objet rassemble 20 lettres adressées par voie postale à une personne répondant au nom "totémisé" de Titta Caouanne et dont le contenu se rapporte à un mot composé, du A de Abaisse-langue au V de Vif-argent. Outre la forme imposée de l'abécédaire, cette contrainte vise à mettre en valeur cette catégorie de mots relativement délaissée et pourtant forte d'expression, assez efficace en tout cas pour venir en aide à un lexique parfois déficient ou faire l'économie d'une périphrase (à noter la fonction pratique de composés tels que marche-pied, essuie-main, repose-tête...) La plus grande qualité de ce type de formation est d’avoir le sens du raccourci, l'esprit de synthèse, en se faisant charge d'aucune surcharge, ainsi de lance-flammes, d'allume-feu... Un verbe accolé à un adjectif et voilà un sujet rapidement croqué (combien de mots faudrait-il pour décrire un trotte-menu ?) Passer ainsi en revue les mots composés de la langue française fut d’abord un régal de vocabulaire et s’il apparaît çà et là des manques, les entrées du dictionnaire offrent néanmoins un fonds d'options savoureuses. Nous avons, il est vrai, beaucoup emprunté à l'anglais qui en regorge et oublié de produire de nouvelles formations, mais personne ne contestera le fait que notre rendez-vous s'exporte toujours bien.
"Humoraliste" autodéclaré, je me suis surtout appliqué dans cette série à composer des portraits qui illustrent les mœurs de notre bonne vieille société, en m'intéressant pour le reste à quelques faits et objets, mais tout au long et à tous niveaux c’est bien des états du langage dont il est évidemment question. Enfin, disons que la meilleure marque de vitalité des composés tient en peu d'espace et s'ouvre à plus large considération : elle se signale par la présence d'un lien discret qui résume et la lettre et l’esprit et le cœur même de cette entreprise, sous l'appellation de trait d’union – système d'assemblage favorisant l'échange, né de l’indispensable relation.


Si ce n’est d'assurer un véritable dialogue, la correspondance par lettres fonde un genre de "conversation". Hors de toute présence physique, ce mode conversationnel, puisqu'il faut l'appeler ainsi, n'est pas complètement détaché de l'oralité, dans la mesure où il en maintient certains traits de caractère. Par le choix des mots et de leur ajustement, ce mode occupe un espace qui peut tenir lieu de parole, sans appartenir totalement à l'écrit. Du reste, dans son premier sens, la conversation est ni plus ni moins un moyen de "fréquentation", une façon de se tourner vers quelqu'un pour un échange de propos.
Plus qu'un outil de communication, dont on ne manque pas aujourd'hui, la correspondance est un moyen d'expression qui, dans sa forme écrite traditionnelle, se trouve en net déclin, quasiment en voie de disparition (cette rareté lui confère une valeur précieuse, d'autant plus perceptible que le courrier postal devient onéreux). C'est justement cet état d'abandon, cette obsolescence comme diront certains, qui m'a conduit à raviver ce mode de relation établie sur un double rapport de tons, réglant la balance entre distance et proximité, réserve et familiarité.
Discussion serait peut-être un mot plus approprié si ce qui sert de matière à conversation, passant donc de la correspondance intime à l'espace plus ouvert de la publication, ne devait être tout de même quelque peu "élargi" et aiguisé pour cette nouvelle destination. Mais qu'il s'agisse là de ce qu'on appelle littérature, au sens commun de grandeur littéraire, je n'en suis pas vraiment sûr. Un genre prosaïque, très certainement ; une forme intermédiaire entre la parole et l'écrit qui ne commande pas trop d'élévation et ne s'encombre pas non plus des apprêts du discours oratoire, mais requiert en priorité un style vif, tirant au maximum profit des traits d'esprit et de la couleur des mots. Plutôt qu'une étude approfondie du système et des effets des mots composés, dont je ne me sens nul besoin d'autorité, le lecteur trouvera ici le résultat d'une observation la plus fine possible, exercée rapidement selon mon humeur : j'y expose un point de vue sans pour autant professer d'opinion.