Les
mots plantent le décor de cette scène où, me cachant, je me donne
à voir. Mais seul spectateur attentif à découvrir le chemin
qu'ouvrent les mots, je cherche l'issue par où quitter cette scène
que les autres arpenteraient sans fin.
(J.
Noiret, La recherche des lieux)
Joseph
Noiret, décédé il y a juste un an, fit brièvement partie avec
Christian Dotremont du surréalisme révolutionnaire en Belgique et
fut, à la suite d'une rupture prononcée en 1948 (« La cause
était entendue », voir ci-dessous), l'un des protagonistes (et
mémorialiste) du mouvement CoBrA (Copenhague/Bruxelles/Amsterdam).
Il fut également l'un des fondateurs en 1953 de la revue Phantomas,
que votre lièvre
précieux
a déjà mentionné ici, à travers les portraits de Paul Bourgoignie, Marcel Havrenne, François Jacqmin et Théodore Koenig.
COBRA, 8 novembre 1948
LA
CAUSE ÉTAIT ENTENDUE
Les
représentants belges, danois et hollandais à la conférence du
Centre international de documentation sur l’art d’avant-garde à
Paris jugent que celle-ci n’a mené à rien. La résolution qui a
été votée à la séance de clôture ne fait qu’exprimer le
manque total d’un accord suffisant pour justifier le fait même de
la réunion.
Nous
voyons comme seul chemin pour continuer l’activité internationale
une collaboration organique expérimentale qui évite toute théorie
stérile et dogmatique.
Aussi décidons-nous de ne plus assister aux conférences dont le programme et l’atmosphère ne sont pas favorables à un développement de notre travail. Nous avons pu constater, nous, que nos façons de vivre, de travailler, de sentir étaient communes ; nous nous entendons sur le plan pratique et nous refusons de nous embrigader dans une unité théorique artificielle. Nous travaillons ensemble, nous travaillerons ensemble.
C’est dans un esprit d’efficacité que nous ajoutons à nos expériences nationales une expérience dialectique entre nos groupes. Si, actuellement, nous ne voyons pas ailleurs qu’entre nous d’activité internationale, nous faisons appel cependant aux artistes de n’importe quel pays qui puissent travailler – qui puissent travailler dans notre sens.
Aussi décidons-nous de ne plus assister aux conférences dont le programme et l’atmosphère ne sont pas favorables à un développement de notre travail. Nous avons pu constater, nous, que nos façons de vivre, de travailler, de sentir étaient communes ; nous nous entendons sur le plan pratique et nous refusons de nous embrigader dans une unité théorique artificielle. Nous travaillons ensemble, nous travaillerons ensemble.
C’est dans un esprit d’efficacité que nous ajoutons à nos expériences nationales une expérience dialectique entre nos groupes. Si, actuellement, nous ne voyons pas ailleurs qu’entre nous d’activité internationale, nous faisons appel cependant aux artistes de n’importe quel pays qui puissent travailler – qui puissent travailler dans notre sens.
CENTRE SURREALISTE-REVOLUTIONNAIRE EN BELGIQUE : Dotremont, Noiret.
GROUPE EXPERIMENTAL DANOIS : Jorn.
GROUPE EXPERIMENTAL HOLLANDAIS : Appel, Constant, Corneille.
Pour un rapide portrait de Joseph Noiret, laissons d'abord la parole à Pierre Puttemans, le plus jeune des « sept types en or » (1) et qui est à présent l'unique témoin vivant du groupe Phantomas :
"Malgré
un goût pour la discrétion et une horreur quasi viscérale de toute
théorisation et de tout manifeste, Joseph Noiret était sans doute
le plus porté à émettre des jugements critiques parfois féroces,
à rédiger des préfaces de livres ou d’expositions […]
Plusieurs mythes doivent être démontés ici. D’une part, celui
d’une rupture avec la France tout entière, et avec Paris en
particulier qui la résumerait comme une globalité : d’une
part, l’acronyme Cobra
me
paraît plus inclusif qu’exclusif ; nombre d’artistes
français vont très rapidement se joindre au mouvement, qui est
ainsi plus lié au rejet d’une théorisation univoque et du
dogmatisme qu’à tout autre rejet."
[…]
"Joseph
Noiret fut sans doute, avec moi qui suis architecte, le seul
collaborateur que le métier « civil » n’ennuyait pas :
il enseigna la littérature et la philosophie dans le réseau
secondaire, puis à l’IESS avant de le faire à La Cambre, dont il
fut directeur en 1979 […] Les questions d’actualité politique ou
idéologique étaient très rarement évoquées ; toutefois,
Noiret exprima très rapidement son dégoût du réalisme socialiste
[…] L’opposition à un certain communisme se traduira notamment
dans le texte de Dotremont, Le réalisme socialiste contre la
révolution, Bruxelles : Cobra, 1950 (cité par Joseph
Noiret dans « Cobra », in Phantomas n°100-111
(La Mémoire).
Pierre
Puttemans,
Joseph
Noiret ou l’aventure dévorée : de Cobra a l’Estaminet
(1)
Pierre Puttemans nous confie par ailleurs que « L’appellation Sept
Types en Or paraît avoir été
créée par Théodore Koenig en 1979, par allusion au film italien
Sept Hommes en Or,
parodique et policier ».
Joseph Noiret revient lui-même sur les événements qui ont préludé à la naissance du mouvement Cobra, dans La Belgique sauvage (Phantomas) :
Joseph Noiret revient lui-même sur les événements qui ont préludé à la naissance du mouvement Cobra, dans La Belgique sauvage (Phantomas) :
"Dans
une glaise commune, le travail de poètes, de peintres, d'ethnologues
creusait les sillons
qui
allaient devenir un champ. À travers l'Europe, le hasard des
rencontres, des voyages, des revues ou des exposition ménageait les
contacts nécessaires à chacun pour franchir le cul-de-sac d'un
horizon illusoire. Était-il concevable que toutes ces expériences
s'ignorent, que ces élans jamais ne se rencontrent ? L'art
expérimental exigeait une unification momentanée des efforts, lui
qui jouait son existence chaque jour et chaque nuit et tendait vers
ce moment où il ferait lui-même le jour et la nuit. Une telle
exigence conduisit des peintres et des poètes à ouvrir une salle
des pas trouvés, un univers de la bonne santé poétique et
picturale, où la recherche sensible confronterait ses évidences.
Aussi puis-je affirmer que COBRA devait naître, unir, puis prendre
de nouveaux visages selon les nécessités de notre vie".
"Après la fin de Cobra, Joseph Noiret allait poursuivre avec le peintre et sculpteur Serge Vandercam une expérience d’œuvres communes dont on trouvera les traces dans divers tableaux, l’aménagement d’une station de métro bruxelloise, une réalisation située au musée du Sart-Tilman, etc."
"Après la fin de Cobra, Joseph Noiret allait poursuivre avec le peintre et sculpteur Serge Vandercam une expérience d’œuvres communes dont on trouvera les traces dans divers tableaux, l’aménagement d’une station de métro bruxelloise, une réalisation située au musée du Sart-Tilman, etc."
Pierre
Puttemans, texte cité
Être vigilant pour que le vivant que je suis se garde vif, pour que le vivant que je veux être ne s'enlise pas dans les strates de la mémoire.
(J.
Noiret, La recherche des lieux)
PHANTOMAS,
1953
Aux côtés de Marcel Havrenne et Théodore Koenig, Joseph Noiret était le plus jeune des trois fondateurs de la revue Phantomas.
Aux côtés de Marcel Havrenne et Théodore Koenig, Joseph Noiret était le plus jeune des trois fondateurs de la revue Phantomas.
« Sur
le plan poétique, Noiret paraît s’être essentiellement interrogé
sur le langage et le mécanisme de l’écriture, comme en témoignent
l’œil,
l’oreille et le lieu,
ou Tas
de mots, mise en scène des regards.
L'aphorisme ou le jeu de mots apparaissent moins que chez Koenig ou
Bourgoignie. A cet égard, il est plus proche de François Jacqmin. »
Pierre
Puttemans, texte cité
Ta
langue, dit-elle, n'est pas pieuse, est pas pilleuse, est papilleuse.
(J. Noiret, Écritures)
Le
saccage initial comme nécessité de tout acte initiateur.
(J. Noiret, La recherche des lieux)
Elle
avait le goût salé que l'on connaît à ces filles dont le bout des
seins est âcre et noir.
(J. Noiret, Écritures)
Insidieux,
le cœur d'artichaut habité de poils : cœur et sexe dans le
même instant, dans le même lieu.
(J. Noiret, Le cœur mis à nu comme organe mécanique)
Dans un texte intitulé Phantomas sur la sellette et peu à cheval..., publié dans le volume de La Belgique sauvage, Joseph Noiret faisait part de plusieurs points de vue concernant la pertinence du concept d'avant-garde ; si l'expression est à présent tombée en morceaux (par pourrissement naturel sémantique, non structurel) le propos reste foncièrement et fromagèrement d'actualité :
"Sachant
bien aussi que la littérature d'avant-garde n'est pas nécessairement
l'avant-garde de la littérature (et que d'ailleurs l'avant-garde
s'ignore nécessairement comme telle), il faudrait tenter de
définir, avant qu'il ne tombe complètement en morceaux – ce qui
serait réjouissant, non ? - le concept pourri d'avant-garde :
alors s'ouvrirait le vrai carnaval, au-delà de toute critique
littéraire possible. Cette tentative exigerait la mise au point de
critères de définitions, dégagés de toute mode, qu'il serait fort
hasardeux d'établir et combien harassant : nous préférons
donc faire l'amour, quel qu'en soit par ailleurs le mode.
Phantomas
ne confond pas le carnaval avec le port de masques, il n'a pas le
souci de l'avant-garde telle qu'on
la fabrique ou qu'elle se fait,
fromagèrement parlant, dans les milieux du lobby de la
« littérature ». Phantomas
ne s'enivre pas avec des étiquettes de flacons, Phantomas vit le jeu, joue la vie, ne joue pas le jeu."
LA
CAMBRE, 1980
Joseph Noiret fut en 1980 le premier directeur de l’Institut après la scission de l’enseignement des beaux-arts et de l’architecture et le resta jusqu'en 1992 […] Il y créa rapidement la section de restauration d’œuvres d’art […] L’atelier d’ « espaces urbains et ruraux », qui succéda à l’atelier du vitrail puis à celui de Transparence et matières de synthèse, fut rebaptisé par Noiret […] L’atelier de Haute Couture, présent jusqu’en 1964-1965, refit surface après quelques années d’éclipse, sous le nom d’atelier de stylisme. Des défilés de mode furent organisés dans plusieurs lieux publics de la capitale. Enfin, Noiret confiera à Yannick Bruynoghe (tôt disparu et proche de Phantomas) un cours d'histoire du jazz.
Joseph Noiret fut en 1980 le premier directeur de l’Institut après la scission de l’enseignement des beaux-arts et de l’architecture et le resta jusqu'en 1992 […] Il y créa rapidement la section de restauration d’œuvres d’art […] L’atelier d’ « espaces urbains et ruraux », qui succéda à l’atelier du vitrail puis à celui de Transparence et matières de synthèse, fut rebaptisé par Noiret […] L’atelier de Haute Couture, présent jusqu’en 1964-1965, refit surface après quelques années d’éclipse, sous le nom d’atelier de stylisme. Des défilés de mode furent organisés dans plusieurs lieux publics de la capitale. Enfin, Noiret confiera à Yannick Bruynoghe (tôt disparu et proche de Phantomas) un cours d'histoire du jazz.
Écrire :
vouloir se souvenir de ce qui n'a pas encore eu lieu, de ce qui va
prendre corps dans l'acte d'écrire, de ce qui va me porter plus loin
dans le long cheminement du langage.
(J. Noiret, La recherche des lieux)
L'ESTAMINET,
1993
"Joseph
Noiret fonda en novembre 1993 une « revuette » plus
confidentielle et à nouveau corrosive et parfois facétieuse,
L’Estaminet,
qui parut « au fur et à mesure des besoins », sous
l’enseigne « à l’improviste ». Il y publia des
textes inédits des anciens collaborateurs de Phantomas,
une partie de la correspondance de Christian Dotremont avec Noiret,
etc. L’esprit des premiers numéros de Phantomas y est revenu."
Pierre
Puttemans, texte cité
Comment
se passionner à résoudre une énigme si, au bout du tunnel, ne
s'ouvre pas l'énigme d'un autre tunnel ?
(J.
Noiret, Écritures)
Principales publications de Joseph Noiret :
L’aventure
dévorante,
Bruxelles : Cobra 1950. Ill. Pol Bury
Description
de Cobra,
Bruxelles : Palais des Beaux-Arts 1962
Histoires
naturelles de la Crevêche,
Bruxelles : Phantomas Acoustic Museum 1971, ill. Mogens Balle
Tas
de mots, mise en scène des regards,
Bruxelles : Phantomas 1971. Ill. Maurice Wijuckaert
Cobra,
Bruxelles : Phantomas 1972
Mise
en scène de l’éphémère,
Naples : Framart Studio, 1975. Ill. Sergio Dangelo
L’œil,
l’oreille et le lieu, Bruxelles : Bibliothèque
Phantomas, 1979 (ce volume reprend notamment des textes antérieurs)
L’espace
oblique,
Bruxelles : La pierre d’alun, 1986. Ill. Godfried Wiegand
ChronoCobra,
Bruxelles : Didier
Devillez, 1986
La
conversation de Bierges avec Serge Vandercam, Gerpinnes : Tandem
1992
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