L’illustration du disque (Hiroshi Kimura) a bien sûr immédiatement tapé dans l’œil du Docteur, et c’est pourquoi il l’a emporté au fond de son terrier, dans ses quartiers lunaires. Le contenu musical a moins saisi son oreille. Disons que, hors de ce saisissement, votre lièvre précieux a longtemps balancé, d’une patte sur l’autre, avant de se déclarer néanmoins satisfait de son acquisition, parce que ce "marbre bleu" a justement quelque chose d’insaisissable, non par sa vitesse qui n’a rien de cuniculaire ; un charme, entendez bien, par définition indéfinissable, qui opère lentement, sans prétentieuse attaque, mais s’accomplit sans bruit, courbant l’arc de votre volonté. On peut alors s’occuper à autre chose, comme piler dans son mortier des branches de cannelle, laisser traîner une oreille et se gratter l’autre avec délectation. Aiko Shimada n’est certes pas du genre à frapper du pied et nous les chauffer (les oreilles). Pas de rififi sonore, en tout cas : nouvelle musique de chambre, rock dévertébré, néo-classique déclassifié ? Prédominance des instruments à cordes, parsemés de rythmes et mixtures électroniques... qui laisse parfois une impression trop appliquée, trop sérieuse, trop "moderne". Cela dit (tout en se grattant la patte), nous dérivons avec douceur vers les contrées du rêve. Et plus le disque avance, plus on s’enfonce dans cet arrière-pays, en marchant sur la pointe des oreilles, par contraction sonore et dilatation du silence, de l’autre côté du miroir où transparaissent les silhouettes de plus graves fantômes. Céleste et à la fois marmoréen. On devient par là même un peu pâle et bleuté, éthéré, volatile, plus léger que l’air. Aiko Shimada nous porte pour finir à évaporation complète à la suite d’un morceau de plus de dix minutes (le temps, le temps… Qu’est-ce que le temps ?)
Eyvind Kang, producteur avec Evan Schiller, apporte sa présence avec une discrétion assurée (7 titres sur un nombre de 9) et le guitariste Bill Frisell vient s’associer pour les deux derniers titres. Reste un manque : celui de ne pas comprendre ce que nous conte Aiko dans sa langue maternelle… L’absence de livret est trop souvent regrettable.
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