La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

jeudi 25 juillet 2013

Ciné-Journal, Serge Daney [Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, 1998]

Le mythe et l'atlas

À tous égards, c'est une position curieuse qu'occupe Serge Daney, en tant que critique de cinéma et de « regardeur-regardé », mais c'est aussi une position curieuse qu'il occupa au cours de sa vie physique, entre le siège de la « salle obscure » et son nomadisme, lui qui s'est tout de suite reconnu citoyen du monde, allant de pays en pays, vérifiant la promesse d'images, virtuelles ou non, réarrangées sur l'écran de cinéma ou incarnées sur le territoire du réel, à partir de la carte, qui lui sert de moteur « action » (et de mise en mouvement). Entre l'afflux des images en lieu clos et l'influx de l'espace ouvrant des voyages. Dans l'extrait vidéo, qui concerne l'atlas, il s'en explique très bien. Serge Daney s'exprime avec une éloquence qui nous paraît toute naturelle et possède surtout, ce qu'on peut encore vérifier trente ans après, une lucidité dont la pointe n'est aucunement émoussée (elle en est même encore plus aiguisée aujourd'hui). Il est bon de relire les chroniques de son ciné-journal, de voir en intégralité les entretiens filmés et de reconsidérer l'ensemble de ses écrits pour bien se repositionner nous-mêmes, par rapport à l'état actuel du cinéma, l'éclatement des dispositifs visuels et de nos moyens de communication. Du coup, on regrette que Daney, mort des suites du sida en 1992, n'ait pas pu vivre pleinement l'ère de l'internet parce qu'il aurait très certainement apporté un regard critique de premier ordre sur cette nouvelle source, pleine de potentiel mais rapidement noyautée par le mercantilisme et piégée par les effets du narcissisme.

Sur le mythe, il apporte aussi des choses essentielles, au détour d'une chronique consacrée au festival de Cannes de 1984 où deux films – deux œuvres cinématographiques, osons-le dire – se trouvaient alors en « compétition » : Paris, Texas de Wim Wenders, qui obtint la Palme d'or, et Il était une fois en Amérique, de Sergio Leone :

« Les mythes, explique Mircéa Eliade, c'est toujours plus ou moins un récit qui répond à une question : comment quelque chose (ou quelqu'un) s'est mis à exister. Ex-nihilo. Comment ça revient de nulle part. Les héros de Wenders et de Leone reviennent de nulle part. Il y a un « trou » dans leur vie : quatre ans pour Travis, plus de trente pour Noodles, soit trente-quatre ans dont nous ne saurons rien. Une « absence à eux-mêmes » qui les oblige ensuite à tout recomposer, patiemment.
Car, nous ne sommes plus à l'époque – naïve avec le recul – où il semblait si souhaitable et si facile de tout « démystifier », à commencer par l'Amérique. Nous ne croyons même plus que la psychanalyse soit notre dernière façon de nous arrimer, grâce à nos névroses, à du mythe (Oedipe and Co).
 
 
Il y a quelques années, l'itinéraire de Travis (prodigieux Harry Dean Stanton), nous l'aurions analysé comme une reconquête-puzzle du « moi » aux prises avec un « ça » enfoui et un « surmoi » inhibant. Wenders aussi sans doute. Cela, c'était Au fil du temps. Cela, c'était Il était une fois dans l'Ouest (Ah, le flash-back « joue pour ton grand frère ! »), histoires de traumas et de guérisons qui avançaient comme des récits d'analysants, avec des digressions (l'opéra, l'errance) et des parenthèses. Le savoir sur le mythe, d'aujourd'hui, ne sert à rien. Seul compte le goût de déplier les histoires dont le mythe est porteur. Et là, on peut dire que Leone se résume et se déchaîne et que Wenders se reprend et s'éclate. »

D'où découle la question finale : la poutre-maîtresse qu'est le mythe est-elle toujours porteuse ? On voit que, soumise à forte pression, elle s'affaisse dangereusement, au point de rompre et d'entraîner la ruine de l'édifice, de l'ensemble de la « maison cinéma ». Pour d'autres, moins optimistes (ou plus pessimistes), il est évident que cette maison s'est depuis déjà longtemps écroulée... que cela se reconstruit sur d'autres modes et passe par d'autres voies. À tous égards, c'est une position curieuse que celle du spectateur actuel, qui fait que le regardeur se sent justement de moins en moins regardé.

2 commentaires:

  1. La mort de Serge Daney a été une perte immense. J'ai beaucoup apprécié "Persévérance", Entretien avec Serge Toubiana (P.O.L., 1994), dont Serge Daney n'a pas vu la publication. Toute la première partie sur "Le travelling de Kapo" est bouleversante de force et de justesse.
    J'ai lu aussi "Le salaire du zappeur" (Ramsay,1988)...
    Serge Daney était un grand et oui, il aurait eu beaucoup à dire sur (et avec) internet.

    Michèle Pambrun

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  2. Oui, dans ce monde des images d'aujourd'hui, on constate la valeur incomparable des points de vue de Serge Daney. Je l'ai découvert par les entretiens avec Toubiana puis un ami m'a prêté les volumes du "Ciné-journal" et bien sûr, les entretiens filmés "Itinéraire d'un ciné-fils", qui sont admirables de justesse et de lucidité. Merci pour votre commentaire et bienvenue sur le blog ! Le lièvre lunaire

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