La symbolique, pas plus que les croyances populaires, ne font de différence entre le lièvre et le lapin. Pour certaines civilisations anciennes, le lièvre était un « animal de la lune » car les taches sombres que l’on peut voir sur le disque lunaire ressemblent à un lièvre en pleine course.

Encyclopédie des symboles (sous la direction de Michel Cazenave, La Pochothèque,1996)


auteur-éditeur : www.remy-leboissetier.fr

jeudi 7 juin 2012

Hey Diddle Diddle ou la vache par-dessus la Lune

Hey Diddle Diddle fait partie du répertoire des nursery rhymes, autrement dit du patrimoine des chansons enfantines d'Angleterre, avec cette qualité de nonsense qui les caractérise. Nonsense ne signifie pas non-sens, comme je l’ai noté dans un message sur Edward Lear. Il y a même, au sujet de cette chanson, plusieurs hypothèses qui pourraient servir d’explication au mystère de la vache qui saute par-dessus la Lune et aux excentricités des autres personnages et objets animés. Mais que dit d’abord Hey Diddle Diddle ? En voici les paroles les plus authentiquement fantaisistes, de type A-A-B-C-B, avec ses variantes :
Hey diddle diddle,
The cat and the fiddle,
The cow jumped over the moon,
The little dog laughed to see such sport,
And the dish ran away with the spoon.

Le quatrième vers existe également sous les formes The little dog laughed to see such a sight ou The little dog laughed to see such fun, et le cinquième comme And the dish ran after the spoon.

Parmi les théories pouvant s’appliquer à cette chanson, citons de préférence celle qui aurait trait à une leçon d’astronomie, les deux autres étant liées à des événements politiques qui nous intéressent moins. Tous les sujets et objets de la chanson auraient leurs correspondances et représenteraient des constellations visibles dans le ciel d'avril : le chat serait le Lion ; le violon serait la Lyre ; la vache serait le Taureau ; la Lune restant la Lune ; le petit chien serait lui aussi indifféremment le Petit Chien ; le plat serait la Coupe (Crater en anglais) et la cuillère serait la Grande Ourse (surnommée en anglais The Big Dipper, "la grande louche"). Pour les premiers Européens, notamment les Anglais, c'était le signe qu'il était temps de semer les cultures.

La chanson a été souvent réutilisée, à différentes époques. On en connaît aussi la partition. Un disque de Papa John Creach (violoniste ayant joué avec le groupe Jefferson Airplane) s'intitule "The cat and the fiddle".


J. R. R. Tolkien, le célèbre auteur du Seigneur des anneaux, s’en est servi plusieurs fois en l’associant à une autre légende que j’ai déjà mentionnée, celle de l’Homme dans la lune et dont Hey Diddle Diddle semble même dériver.
On sait que l’écrivain s’est largement inspiré du folklore, des légendes de la mythologie celtique et nordique. Cette comptine qui lui a servi de base à un poème intitulé L’homme dans la lune a veillé trop tard (The Man in the Moon Stayed Up Too Late) a subi différentes modifications en fonction des publications
La version la plus complète se trouve dans Le Seigneur des anneaux (Frodon la chante et c’est sur le vers The cow jumped over the moon qu’il passe par inadvertance l’Anneau unique à son doigt). Ceux qui désirent en connaître la traduction française (à mon avis peu satisfaisante) en liront l’intégralité dans le chapitre 9 du Livre I, intitulé « A l’enseigne du Poney Fringant ». Cependant, il est préférable de l’entendre dans sa version originale, chantée et scandée comme c’est le cas ici (merci à M. Freeman Ng qui l'interprète).

La chanson écrite par Tolkien, associant la comptine Hey Diddle Diddle à celle de The Man in the Moon, ne perd évidemment rien du caractère absurde de l’une et l’autre. En voici un possible résumé :
 
L’Homme de la Lune descend sur terre et se rend dans une auberge où l’on brasse une bière de réputation excellente. Il y a là un valet d’écurie (palefrenier) qui possède un chat violoniste — un genre de derviche et de figure chagallienne — l’aubergiste avec son chien qui apprécie beaucoup les plaisanteries et « dresse l’oreille à toutes les farces », riant à s’en étouffer. Il y a aussi une vache à qui la musique fait rapidement tourner la tête et l’entraîne à danser. Des objets participent aussi à la danse, le plat et la cuiller en argent. La musique rend pour finir tout ce monde un peu fou : le chien poursuit sa queue, la vache cabriole dans le jardin, tandis que l’Homme dans la Lune, à force de pintes, roule sous la table et s’endort. Mais à l’approche de l’aube, les « chevaux blancs de la lune » hennissent et tirent sur leur mors, voilà que les étoiles pâlissent... C’est l’heure de rentrer !
L’aubergiste secoue en vain l’Homme de la lune, le chat-violoniste se lance dans une gigue « à réveiller les morts », le chien rugit, les hôtes se remettent à danser. Le parquet tremble, tout est sens dessus dessous — image d’un monde pris dans une sorte de spirale, susceptible à tout moment de se renverser. L’aubergiste aidé du palefrenier réussissent finalement à rouler l’ivrogne sur la colline et à le « fourrer » dans la lune. Et au moment où il apparaît, le soleil constate avec surprise que tout le monde est parti se coucher !

Avant d’apparaître dans le Seigneur des anneaux, ce poème inspiré de la comptine Hey Diddle Diddle connut une version vers 1919-1920, puis fut publié dans Yorkshire Poetry en 1923 sous le titre The Cat and the Fiddle : A Nursery Rhyme Undone and Its Scandalous Secret Unlocked.
Cependant, une version antérieure fut rédigée en mars 1915 et s’intitulait alors Pourquoi l’Homme dans la Lune descendit trop tôt (The Man in the Moon Came Down Too Soon) inspiré d'une comptine sans titre du XIXe siècle faisant référence à l’Homme dans la Lune. Une autre version intégrée aux Aventures de Tom Bombadil reprend à quelques variantes près le même motif : comme dans le poème précédent, on découvre dans L'Homme dans la lune est descendu trop tôt une visite terrestre de l'Homme dans la Lune, las de vivre seul et avide de découvrir la vie et les riches couleurs, nourritures et boissons de la Terre. Mais il atterrit au beau milieu de la nuit, alors que tous sont endormis, et n’obtient pour seule nourriture que du porridge froid datant de deux jours.

L’Homme dans la lune, personnage récurrent de l'œuvre de Tolkien, est également présent dans Le livre des contes perdus (plus précisément dans Le conte du Soleil et de la Lune) que l’auteur commence à écrire vers 1916-1917 préfigurant les légendes qui prendront place dans Le Silmarillion. Le personnage apparaît aussi dans Roverandom, un livre écrit en 1927.
L'histoire, écrite juste avant Bilbo le Hobbit, conte les aventures d'un chiot nommé Rover, qui après avoir mordu un sorcier, se voit transformé en jouet (et renommé en Roverandom). Un petit garçon acquiert le chien-jouet, mais finit par le perdre alors qu'il joue sur la plage. Le jouet est alors envoyé par un sorcier vivre des aventures sur la Lune et dans la mer afin de retrouver son apparence originelle (Tolkien invente les aventures de Rover durant l'été 1925 pour consoler son fils Michael qui vient de perdre sur la plage son jouet favori, un petit chien en plomb). Parmi les autres personnages présents sur l’astre, on trouve aussi Le grand Dragon Blanc de la Lune, créature difficile et turbulente qui s’inscrit dans une antique tradition évoquant le Roland furieux de l’Arioste (1516), où la Lune est le siège de choses perdues et lieu de retraite des monstres, dont les dragons.

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